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Les tartines à Pierrot

« Les tartines à Pierrot ». (j’ai la mémoire qui chante, sur un air de clarinette..)

 

J'ai la mémoir' qui chante

Je me souviens très bien

On habitait cette grande maison

Dite le Petit Perron

C’était le temps c’était le temps

Des jeudis des enfants

Et d’un saxo, d’une clarinette

Qui me tournaient la tête.

             (adaptation de circonstance)             

 

 

 

Chaque fois que je me fais une tartine grillée, je pense à Pierrot et sa clarinette. Et à ses tartines, pas celles de la clarinette, les tartines à Pierrot. Et je pense souvent à lui, et du coup, je vais mettre sur la platine un bon vieux Bechet, tiens « La nuit est une sorcière » ou « La colline du Delta » ou encore un Gershwin, « Rhapsody in blue » avec cette intro de clarinette fabuleuse, un glissando qui part du Mi grave pour monter au Do suraigu, il n’y a qu’une clarinette qui puisse faire ça. Et ça me fait penser à Pierrot. Tonton Pierrot, c’était mon oncle, mais on l’a toujours appelé Pierrot. A l’époque de ces fameuses tartines, Pierrot est un jeune homme de 20/22 ans, mince et brun, c’est l’amoureux d’Ada, la sœur de ma mère, mais Ada, c’est plus une grande sœur qu’une tatan*, voilà pourquoi je les appelle Ada et Pierrot. A l’époque des tartines en question, ils sont mariés, et Pierrot est musicien, en plus d’ouvrier très qualifié dans une grande usine, musicien de clarinette et de sax alto. C’est la clarinette qui m’a le plus fasciné, c’est un instrument d’une puissance et d’une souplesse étonnantes, et en plus elle se démonte en 5 ou 6 morceaux, et elle tient dans un petit coffret grand comme une boite à cigares, des havanes, mais quand même. Mais je sens que vous piétinez en attendant la tartine, j’y viens. Donc Pierrot est musicien le week-end, pas que les balloches du sam’di soir ou du dimanche, il y avait parfois des tournées à l’étranger, comme cette tournée en Tunisie, qui est à l’origine des tartines ... Ah enfin, voilà les tartines !!!

Il faut vous dire que cette tournée ou ce voyage avait valu à l’orchestre de fréquenter un ou plusieurs grands hôtels, d’y découvrir des choses qu’on ne voyait qu’au ciné quand on est né à Pierre Bénite, banlieue Sud-Sud-Ouest de Lyon, banlieue ouvrière et maraichère peu équipée en hôtel de luxe. Je sais même pas s’il y avait un hôtel tout court. Au retour de cette tournée Pierrot nous a ouvert une porte sur des mondes aux plaisirs inconnus, insoupçonnés, et ça, avec une tartine. Une sorte de rôtie...

L’effet de cette tartine, c’est comme l’effet papillon, qui bat des ailes dans votre jardin et qui déclenche un tsunami en Australie, la tartine de Pierrot était magique, en plus d’être grillée, ou plus exactement parce qu’elle était grillée. C’est toute la différence, la tartine normale, beurrée, trempée dans le café au lait, parfois avec confiture, c’était l’ordinaire quotidien du petit déjeuner, et parfois du goûter. En ce temps-là, vous ai-je dit que j’avais dans les 7/8 ans ? on se tartinait généreusement de bon pain amélioré, beurre, confiture ou chocolat, de ce pain à la croûte craquante, et à la mie savoureuse. La magie de la tartine à Pierrot, c’était de la passer au four, pour qu’elle soit dorée et croustillante dessus, et moelleuse dedans. Beurrée, bien sûr... Avec le beurre fondant sur la mie dorée... Je ne sais pas si vous percevez la dimension de la merveille ? Peut-être pas... Proust avec sa madeleine faisait un voyage dans le passé, dans des sensations retrouvées, mais la tartine à Pierrot, elle m’envoyait dans des mondes de luxe, de voluptés et de plaisirs édéniques, des paradis lointains, des mondes imaginaires qui n’étaient pas que des phantasmes impalpables, il y avait du réel, quelque part, ailleurs, la preuve ? la tartine, pardi !

Peut-être trouvez-vous qu’il y a un peu d’emballement hypertrophié dans cette tranche de vie, et de pain... Evidemment, aujourd’hui, pour une tartine grillée, vous mettez le pain pré-tranché dans un machin électrique, vous appuyez sur un bidule, et hop, ça saute avec pétulance dans votre tasse de café, ou de thé, ou de chocolat, mais à Pierre-Bénite, banlieue... (voir plus haut) en ces années-là, faire une tartine grillée était une œuvre délicate, exigeant savoir-faire et doigté, l’outil disponible était la cuisinière familiale, polyvalence garantie, four, chauffage, chauffe-eau, à bois ou à charbon, avec des cuivres à faire briller, pour faire joli ... Et faire griller une tartine dans un four de cuisinière à charbon sans la calciner, la tartine, en trouvant la juste mesure pour qu’elle soit dorée dessus et moelleuse dedans, c’est autre chose que d’appuyer sur un bitonio électrique , et lire le journal en attendant. Un travail d’artiste de la clarinette et du sax alto, ayant fait un voyage en Tunisie : Pierrot !

Voilà comment les mondes entrevus dans les films américains, avec Ava Gardner, Gary Cooper, Rita Hayworth, James Stewart... se sont concrétisés, par des sensations gustatives nouvelles, avec des produits du quotidien sublimés par un musicien Pierrot Grilli.

De Pierre-Bénite. Chacun ses aristocraties.

Et quand j’ai la mémoire qui chante mes jeunes années (si je vous dis que j’ai 35 ans et demi, vous allez bien vous douter que c’est pas tout-à-fait vrai) il y a toujours ces moments particuliers, vraiment privilégiés, qui portent plus les lendemains qui chantent, que la nostalgie d’un passé révolu. Et dans cette mémoire qui chante, une clarinette, parfois rieuse, parfois bluesy, toujours vivante.

On n’est jamais à l’abri d’une bonne nouvelle.

 

Norbert Gabriel.

 

Ne m’en veuillez pas si je dédie cette page en particulier à Ada, (et Pierrot), et Liliane, Gilbert, (et Patrice)

Et à la maison du Petit Perron, décor de la scène de « la tartine à Pierrot ». Au dernier étage, la porte à droite dans la galerie, "notre" galerie, seuls occupants du dernier étage

 

monument-historique_medium.jpg

Coordonnées géographiques  Latitude : 45.7036   Longitude : 4.82417,

Façade à l'Est pour le soleil du matin

 

Pour la B.O. : les clarinettes vintage de Benny Goodman, les clarinettes klezmer de Sirba Octet, un coup de Rhapsody in blue, et de « La colline du Delta » (un introuvable, en quelque sorte la negro rhapsody de Sidney Bechet, qu’il n’a pas enregistrée, mais, Claude Luter l’a fait, c’est du sax soprano, et c’est somptueux) et Michel Portal..

 

NB : entre les souvenirs d’enfance des années lointaines, et les réminiscences du patois lyonnais, une ou deux précisions, « tatan » est la forme enfantine lyonnaise de tante, comme la tartine à Pierrot, sonne plus vrai que la forme rigoureuse « la tartine de Pierrot »

Et, last but not least, Sidney Bechet n’est pas là par hasard, quelques années après les tartines, Pierrot Grilli jouait dans un orchestre qui accompagnait Bechet quand il passait dans la région de Lyon.

 

Rezvani-Bassiak a écrit exactement (avec sax et clarinette d’origine, il n’y a pas de hasard..)

 

J'ai la mémoir' qui flanche

J'me souviens plus très bien

Habitait-il ce vieil hôtel

Bourré de musiciens

Pendant qu'il me pendant que je

Pendant qu'on f'sait la fête

Tous ces saxos, ces clarinettes

Qui me tournaient la têt'.

 

 

 

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Le déserteur

Histoire d’une chanson « Le déserteur »

 

Hier, 21 Juin 2009, dans Vivement Dimanche avec Juliette Gréco à l'honneur, Michel Drucker fait une petite digression sur Boris Vian et "Le déserteur" et dans une approximation assez désinvolte, il explique que Boris Vian a réécrit quelques lignes de la chanson pour qu'elle puisse passer en radio...

Suggérons à Drucker de mieux choisir les collaborateurs qui le documentent, car si sa mémoire a des éclipses, il est notoirement connu que cette chanson est l'archétype de la chanson interdite de diffusion radio, et de vente (l'éditeur Salabert a dû retirer les petits formats des magasins) et ce, de 1954 à  1962. Sans faire un développement exhaustif, préciser que c'est Mouloudji qui l'a créée n'aurait pas été superflu.

Cette chanson donne toujours lieu à des commentaires d’autant plus animés que 54 ans après sa création, la légende s’enrichit, ou se déforme selon les témoignages et les interprétations qui en sont faites. En particulier sur les variations et modifications du texte initial, donc revoyons les faits

- Fevrier 1954 : Boris Vian écrit la base du texte qui deviendra "Le déserteur" sur une nappe de restaurant. Dans les variantes* qu'il a ébauchées, une première version émerge, « Monsieur le Président.... qui se termine par « ... que j’aurai une arme et que je sais tirer » qu'il propose à tous les chanteurs du moment, ou presque. Refus de la chanson, pour des raisons diverses, certains ont déjà des chansons antimilitaristes dans leur répertoire, d’autres refusent l’idée de la désertion, d’autres ont d’autres raisons . Seul Mouloudji accepte, mais il en discute certains points avec Boris Vian, ils sont très copains ; d’une part, Mouloudji est résolument pacifiste, il n’a jamais tenu un fusil de sa vie, et la fin le met en porte à faux avec ce qu’il est, d’autre part, dans le contexte de la guerre froide USA-URSS, il lui semble opportun d’élargir le débat. Réponse de Vian « mais c’est toi qui chantes Moulou, tu fais comme tu veux » et en accord avec Mouloudji, il réécrit le début et la fin, dans une version qu’il enregistrera en version mixte : « Monsieur le Président, » et avec la fin « que je n’aurai pas d’armes »

- Mouloudji interprète « Le déserteur » le jour de la défaite de Dien Bien Phu,  pur hasard, il apprendra la nouvelle le lendemain.

(Pour mémoire : tous les experts de toutes les armées du monde étaient d’accord sur un point, Dien Bien Phu (Muong Tanh) est un camp inexpugnable, car inaccessible aux véhicules blindés, chars, canons et autres fourbis militaires. Personne n’avait pensé à la possibilité de démonter tout l’armement, de l’acheminer sur des vélos, dans des sentiers de brousse invisibles du ciel, et d’installer sur les collines une ceinture de pièces de tir. Seuls les aviateurs avaient fait une réserve sur la position en cuvette, mais comme elle était en principe inexpugnable, on les a renvoyés à leurs machines volantes.

C’est donc un camouflet pour toutes les armées, surtout l’armée française ( uniquement des soldats de métier), que cette journée du 7 Mai 1954,  la guerre du Tonkin prend fin, et celle du Viet-Nam commence...

 

De plus, avec la fin de la guerre d’Indochine, on voit arriver quelques mois plus tard le début de celle d’Algérie. Avec la mobilisation du contingent qui va sensibiliser les français, les p’tits gars d’chez nous expédiés dans un département français pour cause « d’évènements », ça passe mal. Et c’est un chanteur nommé Marcel Mouloudji qui envoie Le déserteur dans les bacs à disques !

Le scandale est de taille, censure immédiate sur les radios, disque interdit à la vente. Pourtant en quelques mois, cette chanson est connue de tous les français. Parce que le tissu associatif, syndical, est très actif, et s’il n’y a pas de Zénith ou d’Olympia pour inviter Moulou, il y a les Maisons du peuple, les salles genre Mutualité, qui relaient efficacement ce qu’on n’entend pas à la radio, TSF pas encore transistor.

Toute la jeunesse française va chanter « le déserteur » dans la « version Mouloudji », que Vian enregistrera d’ailleurs, ce qui tend à démontrer qu’il avait avalisé cette version. Et puis, je ne suis pas certain que Vian ait tenu absolument à imposer la version agressive, lisez le texte, on a un mec qui va prêcher la paix sur les routes de France, inciter les gens à refuser la violence, et il aurait un fusil pour tirer sur les gendarmes ... ? ça me trouble un peu, il y a un hiatus que je ne comprends pas, provocation diront certains... Peut-être. Mais c’est une sorte d’option terroriste qui semble ne pas coller avec le personnage de la chanson. Cela dit, vu des années 2000, la glose est facile, en 1954, on est à 10 ans de la fin de la guerre, de la résistance, avec certains policiers collabos, on peut imaginer qu’un fusil était un argument obligé dans les discussions.

Mais ce n’était pas l’option de Mouloudji, le fusil. Et quand 10 ans plus tard en 1965-66, un chanteur reprend « Le déserteur » ‘version avec fusil, c’est un peu facile de reprocher à « un certain » d’avoir trahi Vian. Reggiani réitérera ce propos en 1998 ou 1999, Vian et Mouloudji n’étant plus là pour préciser les choses, et le contexte de la première version.

Et c’était en 1954 qu’il fallait y aller en front de scène, pas en 1964.

Parmi les nombreux interprètes qui ont choisi de mettre « le déserteur » à leur répertoire, bravo à Peter Paul and Mary (les premiers aux USA), à Joan Baez et à ces américains qui la chantaient pendant la guerre au Viet Nam, ils chantaient aux USA, pas sur les Champs Elysées**, où c’est plus facile de crier Paix au Viet Nam qu'à Washington.

Pour ce qui est des choix à faire dans ce genre de situation, on peut réfléchir à ce que disait il y a 2 ou 3 ans un des derniers poilus de 14-18,

Devant moi, il y avait les allemands, derrière moi, il y avait ma famille, qu’est-ce que je pouvais faire ? vous croyez que j’avais le choix ??

Et pour finir en chanson, « la guerre va chanter » de Guy Béart sera un écho tout à fait en accord avec la parole du poilu de 14-18.

 

La guerre va chanter ses hymnes de colère

Moi je ne chanterai ni tout haut ni tout bas

Les mots d’amour ici sont de haine là-bas

J’attendrai ton retour, Il pleut il pleut bergère

Sont des chants de combats repris par mille voix

....

La guerre va finir aux nouvelles dernières

Même si la victoire éclate sur mon seuil

En musiques de joie en drapeaux crève l’œil

Elle est toujours perdue toujours perdue la guerre

Le jour de gloire est là et c’est mon jour de deuil

 

Mais quand je vois venir déguisés en colombes

Et la musique en tête une bande d’exaltés

Pour ne pas vivre esclave il faudra bien lutter

J’irai jusqu’à brandir le fusil ou la bombe

En chantant avec vous vive la liberté.

 

Quelques notes biographiques sur Mouloudji

Moulou.jpgUn des artistes les plus attachants de sa génération, dont la modestie chronique a été sans doute le handicap majeur pour faire « vedette ». Adolescent, il est accueilli par la bande à Prévert; grâce à Sylvain Itkine, metteur en scène du Groupe Octobre ; avec son frère André, c’est un de ces gamins de Paris qui vivent et se débrouillent comme ils peuvent, (toujours honnêtement, on récupère les légumes jetés sur les marchés pour les recycler, et les vendre au détail), mais qui se sont ouverts sur le monde par les associations issues des courants coopératifs, anarcho-libertaires, syndicalistes, ou ajistes (Auberges de jeunesse).

 

C’est Marcel Duhamel qui sera sa famille adoptive, comme Prévert et Grimaud composeront la seconde famille de Crolla. Mouloudji commence dans le cinéma, en 1936-37, puis pendant la guerre, il s’essaie au tour de chant, des textes poétiques accompagnés par la guitare de Crolla, trop décalés dans les ambiances swing exubérants des années de guerre.

Son premier livre, Enrico (en clin d’œil à son copain Crolla) est salué et récompensé par le prix de la Pléïade, en 1945, néanmoins, il n'aura  jamais la tête boursouflée, doué pour la comédie, la peinture, l’écriture, c’est la chanson qui lui vaudra la notoriété. C’est un pur héritier du Groupe Octobre qui ira toute sa vie au devant des publics populaires là où ils sont, dans les usines, dans les banlieues, et il est un des champions des galas de soutien.

Un citoyen résolument humaniste faisant les choses sérieusement sans se prendre au sérieux,

un des premiers à s’affranchir du carcan des majors pour créer un label indépendant, pour être libre de ses choix artistiques. Et quand il fera de l’édition, un des premiers auteurs qu’il publiera est le formidable Bernard Dimey.

Sa réserve est due à sa timidité naturelle, et le fait que fréquenter au quotidien les frères Prévert, Grimaud, Fabien Loris, le peintre Yves Tanguy, Sartre et Beauvoir relativise quelque peu l’ego, surtout pour un gamin des rues face à ces grands intellectuels. (son roman ‘Enrico’ est dédié « Au Castor »)

Le parcours de sa vie prouve qu’il n’a jamais trahi son enfance, qu’il n’a pas vendu son âme aux marchands, et « le déserteur » n’a jamais déserté le combat de la vie.

Dans plusieurs livres autobiographiques, il se raconte, avec beaucoup de pudeur, et de respect pour les gens célèbres qu’il a côtoyés de très près ; sans forfanterie, ce plumitif ou plumiteux, comme il se définit parfois, garde toujours une élégance distanciée et un regard amusé sur les agitations du monde... Communiste par mon père, catholique par ma mère, un peu juif par mon fils, athée ö grâce à Dieu... ‘(Autoportrait)

Avec cette chanson, (Le déserteur) on a un parfait exemple du rôle décisif de la scène dans l’expression libre. Une chanson peut être censurée par la production ; quand elle est enregistrée, elle peut être censurée par les diffuseurs, ou les distributeurs (comme Allah, de Véronique Sanson) ou interdite à la vente, mais personne ne peut empêcher un artiste de s’exprimer en scène. Malgré le consensuel ambiant qui gomme les aspérités (pas de crime économique en diffusant un opéra à 20h30, ou une chanson qui segmente, ou qui provoque, tiens comme ce titre de Tachan, « fais une pipe à pépé » peu de chances qu’une grande chaîne invite Henri Tachan, toutefois, on a pu entendre Agnès Bihl chez Drucker... (invitée par Ségolène Royal, faut pas rêver... ce qui prouve qu’on n’est jamais à l’abri d’une bonne nouvelle

Norbert Gabriel

 

*Variantes: dans une des variantes, l'humour iconoclaste de Boris Vian lui inspire  "ma mère est dans la tombe et se moque des vers" ... Il l'interprète lui-même dans un album qu'il a enregistré, mais il est pratiquement le seul à avoir osé ce jeu de mots, car de qui se moque-t-on? Des poètes ou des animaux pluricellulaires sans mains ni pieds... ? Sacré Boris !

** "Pauvre Boris" de Jean Ferrat, pour une mise au point. C'était en 1966.

Tu vois rien n'a vraiment changé
Depuis que tu nous a quittés
Les cons n'arrêtent pas de voler
Les autres de les regarder
Si l'autre jour on a bien ri
Il paraît que " Le déserteur "
Est un des grands succès de l'heure
Quand c'est chanté par Anthony
Pauvre Boris

Voilà quinze ans qu'en Indochine
La France se déshonorait
Et l'on te traitait de vermine
De dire que tu n'irais jamais
Si tu les vois sur leurs guitares
Ajuster tes petits couplets
Avec quinze années de retard
Ce que tu dois en rigoler
Pauvre Boris

(...)

Ils vont chercher en Amérique
La mode qui fait des dollars
Un jour ils chantent des cantiques
Et l'autre des refrains à boire
Et quand ça marche avec Dylan
Chacun a son petit Vietnam
Chacun son nègre dont les os
Lui déchirent le cœur et la peau
Pauvre Boris

On va quitter ces pauvres mecs
Pour faire une java d'enfer
Manger la cervelle d'un évêque
Avec le foie d'un militaire
Faire sauter à la dynamite
La bourse avec le Panthéon
Pour voir si ça tuera les mythes
Qui nous dévorent tout du long
Pauvre Boris

Tu vois rien n'a vraiment changé
Depuis que tu nous a quittés

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Histoire et chanson « la nueve »...

 

Avec un chant républicain

L'Espagne enfuie des catacombes

Un peu de terre dans les mains

Une espérance vagabonde

Avec son casque américain

On l'a pris pour le Nouveau Monde

Portant l'espoir du monde ancien

Quand dormaient toutes les colombes...

 

Un nuage espagnol oublié quand l'histoire à la mémoire qui flanche.

la nueve AAA.jpg1944 : Des anarchistes pacifistes ont libéré Paris … La nueve était une unité de la division Leclerc, composée de républicains espagnols en majorité anarchistes, unité commandée par le capitaine Dronne, dont la jeep avait été baptisée « Mort aux cons » Lorsque le Général de Gaulle arrivé à Paris se trouvera face à la jeep du capitaine Dronne, il aurait déclaré dans un soupir "Lourde tâche, vaste programme"
La compagnie enrôla quelques 150 républicains espagnols souvent libertaires, mais aussi des soldats français, sous commandement français.

 

Ces républicains s'étaient engagés dans l'armée américaine, et c'est en uniforme US sur des véhicules US qu'ils sont entrés dans Paris, en avant garde, précédant les chars de Leclerc trop lents. Cette avant garde a été ensuite la garde rapprochée de de Gaulle défilant sur les Champs, puis elle a continué sa marche en avant jusqu'à Berchtesgaden, laissant l'essentiel de ses hommes morts entre la France et l'Allemagne. Ce qui explique en partie le rapide oubli de tous, y compris du général de Gaulle, mais un livre et une chanson font revivre cette mémoire occultée

 

Il faudra bien, un jour, crier dans le silence

Qu'un nuage espagnol a libéré Paris

Avec un chant républicain

L'Espagne enfuie des catacombes

Un drapeau noir un peu carmin

Une espérance vagabonde

 

Dans cette reconquista de la liberté, les Espagnols donnèrent à leur véhicules des noms rappelant pour la plupart des événements de la guerre d'Espagne. La 1ère section de combat baptisa ses véhicules « Don Quichotte », « Cap Serrat », « Les Pingouins » (d'après le surnom donné par les soldats français aux Espagnols ou « Espingouins » (le nom de « Buenaventura Durruti », proposé par des anarchistes, fut refusé par les supérieurs français), « Madrid » et Guernica. La 2e section de combat donna à ses haltracks les noms de « Résistance », « Teruel », « España Cañi » « Libération »), « Nous Voilà »et « Ebro ». Et la 3e section de combat baptisa les siens « Tunisie », « Brunete », « Amiral Buiza », « Guadalajara », « El Canguro » et « Santander »; les noms de « Catapulte », « Belchite », Rescousse pour le halftrack de dépannage.

half track.jpg<---  Le half-track “Guadalajara”, premier véhicule a être entré sur la place de l’Hôtel-de-Ville de Paris, le 24 août 1944.à 21h 22.

 Alors que l'histoire donne le 25 Août pour la libération de Paris.

Il y eût quelques survivants. Luis Royo est le seul membre de la Nueve à avoir reçu un hommage officiel de la mairie de Paris et du gouvernement espagnol en 2004 à l’occasion de la pose d’une plaque sur le quai Henri-IV près de l’Hôtel-de-Ville. En 2011, surveillés de près par la police, une poignée d’ami-e-s de la République espagnole, dont Evelyn Mesquida, s’est regroupée dans l’indifférence quasi générale lors de la commémoration de la libération de Paris.

Une plaque similaire a été posée square Gustave-Mesureur, place Pinel (Paris 13e), une autre au centre de la Colonne_Dronne,_Place_Nationale,_Paris_13.jpgplace Nationale, (Paris 13e).

L'essentiel des données de cet article vient du Forum Anarchiste,

http://forum.anarchiste-revolutionnaire.org/viewtopic.php...

(la chanson de début est de Serge Utgé-Royo, album « L'Espoir têtu » 2013.)

 Il y a quelques années un des derniers de ces républicains réfugiés en France, qui les a très mal traités, c'est le moins qu'on puisse dire, témoignait et avait terminé sur une note douce amère, « nous avons perdu toutes les batailles (de la guerre d'Espagne) mais c'est nous qui avions les plus belles chansons. » La Nueve a gagné sa bataille de France, et comme dit la chanson-drapeau, 

 Pour l´anarchiste à qui tu donnes, l'espoir têtu,libération de paris,républicains espagnols,anarchistes libertaires

Les deux couleurs de ton pays,

Le rouge pour naître à Barcelone,

Le noir pour mourir à Paris

Thank you Satan, mais pour Paris et la France, gracias compañeros !

Une des plus anciennes, de 1806,     « El paso del Ebro"   https://www.youtube.com/watch?v=NgQOkPE0rTI

 autre version https://www.youtube.com/watch?v=Fko5fYIBJFU

 et aussi Canciones de la Guerra Civil Española « Si me quieres escribir » https://www.youtube.com/watch?v=JLxa33HR3gY "si tu veux m'écrire.."

Dans son fameux discours "Paris, Paris outragé, Paris brisé, Paris martyrisé mais Paris libéré ! Libéré par lui-même, libéré par son peuple avec le concours des armées de la France, avec l'appui et le concours de la France tout entière : c'est-à-dire de la France qui se bat. C'est-à-dire de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle. »  le général incluait donc dans le peuple de la France éternelle, la Nueve, que l'histoire, et lui-même oublieront très vite. Cette armée des ombres qu'il rejettera dans l'ombre. 

N'empêche, Paris libéré par des anars espagnols libertaires, ça montre que Don Quichotte n'avait pas tort en s'attaquant aux moulins à vent, ils peuvent vous envoyer dans les étoiles. On n'est jamais à l'abri d'une bonne nouvelle.


Norbert Gabriel

 

 avec la participation musicale de Serge Utgé-Royo, Léo Ferré, pour les extraits de chansons.

 Voici la compagnie La Nueve, au début de la guerre, sur les 144 espagnols 128 sont morts au combat, seuls 16 en sont revenus.

l'espoir têtu,libération de paris,républicains espagnols,anarchistes libertaires

NB (le 3 janvier 2014)  ci joint le lien d'un excellent article sur la Nueve et la libération de Paris

http://florealanar.wordpress.com/2012/08/25/la-veritable-histoire-de-la-liberation-de-paris/

 Avec la jeep du capitaine Dronne  "Morts aux cons"  Vaste tâche, lourd programme; dit de Gaulle

 

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Nomade

à Délia et Alexandre Romanès, et leur cirque....

 

 

Je suis un  souvenir qui marche

 

Voyageur qui cherche  les pays imaginaires par delà l’horizon

J’ai l’âme tatouée d’un chemin destiné à n’arriver jamais

Je suis de ces oiseaux migrateurs

Jongleurs musiciens saltimbanques

Qui effacent les frontières au gré du vent

 

Guetteurs d’arc-en-ciel et de chemins d’étoiles

Ils inventent des musiques métissées de toutes les douleurs

Des chants de cœur battant

De cicatrices ouvertes

Et de ritournelles dansantes  bulles légères de champagne

Eclats de rêves et de vie   étincelles de bonheur

d’instants éparpillés gaiement le long du parcours

 

L’important,  manouche gitan ou bohémien

Touareg ou bédouin, zingaro, romani

Ce n’est pas le bout de la route,

C’est la route

Cette longue quête sans fin à travers les pays

Comme la mémoire presqu’oubliée des temps anciens

Au début du monde, d’un seul peuple

D’une seule fraternité d’humains

 

Je suis de toutes les minorités

Nègre, kurde, juif, cheyenne, arménien, bougnoule, inuit,

Rescapé des camps, réserves, ghettos

Paillette de mémoire  pour orpailleur du temps

Survivant     quand même

Je suis un souvenir qui marche

porté par l’écho des notes d’une guitare

 

 

Ce chemin de nuage que le vent effiloche

     Ce violon qui raconte dix mille ans de voyage

               Cette guitare blues fragile au bord du grand fleuve

                          Ou rouge flamenco dans les rues de Séville

 

                                      Ce chant éternel venu du fond des âges

                                                  Des baladins nomades  des tziganes

                                                              Des métèques flamboyants de soleils égyptiens

                                                                         Des oiseaux de passage au regard étoilé

 

C’est la vie qui danse et renaît chaque matin

 

Latcho ( d)Rom

 

 

Patchwork de traces  multiples,  Garcia-Lorca, Elan Noir, Django Reinhardt, Nina Simone, Nazim Hikmet, Jean Ferrat, Aragon et Ferré, et dédicace à une fillette de 10 ou 12 ans dans une voiture du métro, il y a quelques années, elle a chanté un air de son pays, avec une espèce de rage intérieure, de défi, une mini Joplin énervée, une fois la chanson finie, elle a traversé le wagon dans une indifférence unanime de la part des voyageurs, quand elle est arrivée au bout, juste avant la porte, il y avait 4 personnes assises, et dans une discussion animée, quand la fillette est arrivée à leur hauteur, pas un regard, juste un geste pour chasser un insecte importun...  J’avais une pièce de 2 frs, c’était encore le temps des francs, pas cher payé pour une chanson ...

Et j’ai toujours l’image de cette gamine, avec en surimpression, cette photo de Diane Arbus...

 

 Arbus 2.jpg

L’enfant à la grenade,

quelque part en Amérique

 

Dans les années 1960-70

Diane Arbus (1927-1971), un jeune garçon dans un jardin public (à Central Park), moue, muscles crispés et regard étrange, culotte sombre et courte, bretelle gauche tombée et jouet-grenade dans la main droite...

© Diane Arbus

Elle avait un regard un peu comme lui...

 

 

J’aimerais bien dire qu’on n’est jamais à l’abri d’une bonne nouvelle, mais parfois, j’ai du mal.

 

Norbert Gabriel

 

 


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Fait d'hiver, Janvier 2009

 

Chanter, des fois ça m’fout l’cafard... Chanter ... (Leprest)

 

Demain il f'ra beau à Manille
Si ça s'trouve j'ai rien à y faire
Mais là-bas j'suis sûr qu'y a une fille
Qui va s'mouiller la nuit entière
Pour vingt dollars
Chanter, chanter des fois ça m'fout l'cafard

 

Retour sur image .... La nausée.

 

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

Qu'est-ce que c'est que ces hurlements

Bandit ! Voyou ! Voyou ! Chenapan !

C'est la meute des honnêtes gens

Qui fait la chasse à l'enfant...

 

Dans un moment d’exaltation prévertienne, j’ai glissé dans l’édito du magazine « Le doigt dans l’œil » de Janvier 2009, un extrait de la chasse à l’enfant... C’était avant la guerre de 39-40-45, même moi j’étais pas né, et il me semblait que ces temps étaient révolus. Il y a des cauchemars qui ont la vie dure, mais le cauchemar, comme le pire, n’est pas toujours sûr. Pourtant...

Cauchemar réalisé, une enfant de 12 ans a passé 4 jours en prison, en France, en Janvier 2009, pour délit de « sans papier » (référence Agora Vox 20 Janvier 2009)

 

« Williana 12 ans est en prison ». Comment ? Pardon ? Quoi ? Qu’est-ce ? Ai-je bien lu ? Pour tous ceux qui ont la même réaction que moi la première fois, je répète : « Williana, 12 ans est en prison ». Mais… heu… où ça ? A Gaza ? En Turquie ? En Russie ? En Chine ? Non, non. Williana, 12 ans, est en prison. Ici. En France. A Paris, capitale mondiale de la culture. La ville de l’Amour, des Lumières. En France, le pays de la liberté. En France, quoi ! Bordel ! Réveille toi ! Secoue toi ! Oui, ici ! En France ! A côté de chez toi ! Ou presque… à Orly.(.....)

Mais le propre de la politique des lâches, c’est de s’attaquer aux plus faibles des plus faibles. Ici une politique qui atteint sa quintessence en s’en prenant à une enfant d’un « pays pauvre »

Aurélien Roulland sur Agora Vox.

Les faits : une fillette de 12 ans cherche à rejoindre son père, en France ; à l’aéroport, les policiers trouvent ses papiers douteux, et la seule réponse à cette question par ailleurs légitime, est la mise en détention pendant 4 jours. Sans une énergique et immédiate réaction de la CGT d'Orly et de RESF, qu’est-ce qui se serait passé ? Après 4 jours de prison "administrative"... il n'y a pas de foyers pour mineurs? pas d'autre solution que la prison, même administrative?

Autre question, que fait la France de 2009 de la Déclaration des Droits de l’Enfants ? et de celle de Droits de l’Homme ?

Autre question : cette gamine est africaine, aurait-elle été traitée de la même manière si elle avait débarqué d’un avion venant de New York ou de Los Angeles?

C’est la nausée, le dégoût. On parle de devoir de mémoire sur ce qui s’est passé en 1939-44, mais si on peut mettre en prison pour défaut de papiers d’identité une enfant de 12 ans, aujourd’hui, en France, on ne peut pas condamner les zélés applicateurs des lois qui faisaient du regroupement familial pour envoyer des familles entières vers les camps de la mort. En toute connaissance de cause. J’ai fait mon devoir, dit l’obéissant gardien de la loi. Mais quand ces lois aboutissent à ces aberrations, il y a devoir de désobéissance, au nom d’un devoir supérieur : le respect du principe d’humanité face aux robots décervelés qui ne savent plus exercer leur libre arbitre de citoyen responsable. Et des chansons écrites pour d’autres époques reviennent en échos trop actuels.

 

On nous a fait chanter pour un ordre nouveau
D'étranges Marseillaises de petite vertu
Qui usaient de la France comme d'un rince cul
Et s'envoyaient en l'air aux portes des ghettos

(Maurice Fanon)

 

Étudiants et voyous c'est bien la même engeance!
C'est écrit noir sur blanc, dans votre quotidien
Faites dresser des murs et dressez votre chien
Pensez dès maintenant à votre auto-défense...
Et quand des jeunes gens défilent en cortège
Toujours on vous les peint veules et fainéants
Alors vous les reniez, vous tombez dans ce piège
En oubliant qu'ils sont enfants de vos enfants...

Ils savent mieux que nous, de quoi le monde crève
Que le temps des robots vient à pas de géants
Qu'on sacrifie l'Esprit au profit de l'argent
Comme on tue la nature, la joie et le rêve...
Préparez vos fusils et créez vos milices
Nostalgiques du tir et chasseurs sans gibiers
"Des fois que des loubards viendraient dans le quartier"
Suivez votre penchant, soyez de la police...

 

Ces deux dernières strophes de la chanson de Jean Roger Caussimon « Les milices » sonnent avec une actualité confondante. Et pourtant...

 

Tiens, j’ai fait un rêve, que tous les saltimbanques s’unissent pour faire une chanson condamnant les pays qui mettent des enfants en prison. Une chanson en français, comme un chiffon rouge pour réveiller les consciences quelque peu anesthésiées, une chanson en téléchargement libre, histoire de prendre par la main les enfants orphelins qui ont rêvé que la France était le phare de l’humanité, le pays des lumières, de Voltaire, d’Hugo, de Zola, qui ne sont plus là, même l’abbé Pierre n’est plus là... Vous me direz qu’en prison, on est à l’abri des mauvaises rencontres de la rue, c’est un point de vue. Qui semble être partagé par pas mal de nos éminences gouvernementales, vu l’enthousiasme pour la solution carcérale... Ça va relancer l’industrie de la construction des prisons, et quand le bâtiment va.... On n’est jamais à l’abri d’une bonne nouvelle.

 

Norbert Gabriel

 

Principe premier de la Déclaration des Droits de l’enfant (1959)

L'enfant doit jouir de tous les droits énoncés dans la présente Déclaration. Ces droits doivent être reconnus à tous les enfants sans exception aucune, et sans distinction ou discrimination fondées sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l'origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance, ou sur toute autre situation, que celle-ci s'applique à l'enfant lui-même ou à sa famille.

 

En bonus, cette carte transmise par Gérard Morel .

 

2009 Morel.jpg

 

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20/01/2009 | Lien permanent

Autour de ”L'étrangère” ..

Prima la musica, et une interprétation magistrale de la chanson mise en forme par Madeleine Ferré à partir du long poème d'Aragon, "Après l'amour" ..  (dans "Le roman inachevé")


 

Et voici ci-dessous le texte intégral, avec surlignées en rouge les strophes retenues par Madeleine Ferré.

Norbert Gabriel


 

Je me souviens de cette ville
Dont les paupières étaient bleues
Où jamais les automobiles
Ne s'arrêtent que quand il pleut

Une lessive jaune et rose
Y balançait au bord du ciel
Où passaient des canards moroses
Avec un ventre couleur miel

On y a des manières d'être
Qu'ailleurs on ne voit pas souvent
Juste s'entrouvre une fenêtre
Qu'un rideau blanc s'envole au vent

Toutes les filles le dimanche
S'en vont flâner au bord de l'eau
Elles se gardent les mains blanches
Pour attirer les matelots

Le plus souvent marins d'eau douce
Rencontrés sous les peupliers
On voit qu'ils ne sont plus des mousses
Comme ils dénouent les tabliers


Tout est vraiment sans importance
Un jour ou l'autre on se marie
Les charpentiers dans l'existence
Épousent la Vierge Marie

Les hommes facilement chantent
Et jurent plus facilement
Quand leurs femmes se font méchantes
Ils leur procurent des amants

Le conjoint rentre sur le tard
Avec une haleine d'anis
L'épouse élève ses bâtards
Et leurs héritiers réunis

C'était peu après l'autre guerre
Les morts aiment qu'on parle d'eux
Or les vivants n'y pensaient guère
Ils dormaient déjà deux par deux


La vie avait fait ses vendanges
Il faut laisser poser le vin
Nous n'avions pas tous un cœur d'ange
Dans les vignes des années vingt

J'étais plus fou que raisonnable
Elle ou moi qui donc s'en alla
Mais sait-on bien pourquoi le sable
Retombe ici plutôt que là

J arrivai par un soir de fête
Les enfants portaient des flambeaux
Tous les vieux jouaient les prophètes
Tous les jeunes gens semblaient beaux


Sous les pieds partaient des amorces
On promenait un Saint doré
Ce qui tournait au tour de force
Dans les ombres démesurées

On avait cueilli les lavandes
Gela se sentait à plein nez
Aux mains furtives qui se tendent
Comme aux paniers abandonnés

J'avais ma peine et ma valise
Et celle qui m'avait blessé
Riait-elle encore à Venise
Moi j'étais déjà son passé


Le pays me plut comme plaisent
Les gares que l'on voit du train
Mon adresse y fut
Chez Thérèse Treize Place des Tambourins

Sous les platanes de la place
Il se contait mille folies
Rêver seul à la fin vous lasse
Ne rien faire ensemble vous lie

J'adore le bruit des fontaines
La pierre humide où l'on s'assoit
Adieu ma princesse lointaine
Ici bavarder va de soi


Il existe près des écluses
Un bas-quartier de bohémiens
Dont la belle jeunesse s'use
À démêler le tien du mien

En bande on s'y rend en voiture
Ordinairement au mois d'août
Ils disent la bonne aventure
Pour des piments et du vin doux

On passe la nuit claire à boire
On danse en frappant dans ses mains
On n'a pas le temps de le croire
Qu'il fait grand jour et c'est demain

On revient d'une seule traite
Gais sans un sou vaguement gris
Avec des fleurs plein les charrettes
Son destin dans la paume écrit


J'ai dilapidé trois semaines
Parmi ces gens insouciants
Leur cachant ma plaie inhumaine
Et mes songes humiliants

Un jour sous les arbres du fleuve
Pourquoi s'était-elle arrêtée
Fallait-il fallait-il qu'il pleuve
Comme il peut pleuvoir en été


J'ai pris la main d'une éphémère
Qui m'a suivi dans ma maison
Elle avait les yeux d'outre-mer
Elle en montrait la déraison

Elle avait la marche légère
Et de longues jambes de faon
J'aimais déjà les étrangères
Quand j'étais un petit enfant


Les choses sont simples pour elles
Elles touchent ce qu'elles voient
Leur miracle m'est naturel
Comme descendre à contre-voie

Ces femmes d'ailleurs ont des gestes
Qui supposent d'autres plafonds
Et des terrasses où l'on reste
Sans fin devant des cieux profonds

Un air en court dans leur mémoire
Contredire au plaisir qu'on prend
Et dans la glace de l'armoire
Renaît un monde différent

Terrains brûlés lentes rivières
Où les vapeurs portent là-bas
Par une école buissonnière
La canne à sucre et le tabac

Ou bien ce sont d'autres escales
Dans le goudron des ports brumeux
Sous les aurores boréales
Un bateau à aube se meut

L'une dit les eaux transparentes
Les plongeurs pourpres les coraux
L'autre les barques de Sorrente
L'autre le sang roux des taureaux


Celle-ci parla vite vite
De l'odeur des magnolias
Sa robe tomba tout de suite
Quand ma hâte la délia

En ce temps-là j'étais crédule
Un mot m'était promission
Et je prenais les campanules
Pour les Fleurs de la Passion

Tant pis l'autre encore que j'aime
Qui tient son peignoir au Lido
Et quelle main comme un blasphème
Sur sa chambre tire un rideau

Ô vagues de l'Adriatique
Dont le flux dort dans le reflux
Vous vos îles et vos moustiques
Je ne vous verrai jamais plus

Pour une femme mille et une
La chanson finit qu'on chanta
Et s'égarent par les lagunes
Le Doge et la Malcontenta

Dans mes bras les belles soient reines
L'avenir les couronnera
Voici ma nouvelle sirène
Toute la mer est dans mes bras


A chaque fois tout recommence
Toute musique me saisit
Et la plus banale romance
M'est l'éternelle poésie

L'une s'en vient l'autre s'envole
Quatre murs un roman défunt
J'ai perdu son nom ma parole
Que m'en demeure le parfum

Nous avions joué de notre âme
Un long jour une courte nuit
Puis au matin bonsoir Madame
L'amour s'achève avec la pluie


J'ai vu s'enfuir l'automobile
À travers les paupières bleues
Car le bonheur dans cette ville
N'habite que le temps qu'il pleut

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01/08/2020 | Lien permanent

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