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23/04/2011

Radio days ...

 

 

«Le monde ouvert à ma fenêtre
Que je referme ou non l’auvent
S’il continue de m’apparaître
Comment puis-je faire autrement »

 

Dans mes gènes, il doit y avoir un mélange de spaghettis-opéra, de paella-flamenco, sur fond de TSF , avec quelques beaux nuages de jazz venus par le fil magique qui traversait la cuisine. En ce temps-là, la TSF, c'était du solide, du respectable, du cossu, un bel appareil en bois verni, d'un format imposant, installé sur un guéridon bien campé, un coffre en noyer ou en acajou avec quelques cadrans, pour voyager autour du monde, Llubjana, Novosibirsk, Radio Andorra, Pékin, Moscou, Marseille, Paris, et même radio Lyon qui émettait de Fourvière, 7 kms à vol d'oiseau. Et on entendait aussi bien la mère Cottivet raconter ses gognandises que la voix de Moscou ou de Radio Andorra. Et Rigoletto par les ténors de La Scala de Milan.

Pour ce qui est des langages radioteurs, la mère Cottivet et Radio Andorra m'étaient plus accessibles que Radio Moscou ou Stockholm, mais c'était pas grave, il suffisait de surveiller l'oeil vert du cadran, quand il était bien ouvert, et bien vert, c'était tout bon, que ça parle en lyonnais, en moscovite, ou en bachi bouzouk, septentrional, j'étais branché sur le monde

(pour les non initiés, les « gognandises » ce sont des plaisanteries de canuts et autres gones lyonnais, et la mère Cottivet, c'est l'ancêtre d'Anne Roumanoff, ou de Florence Foresti.)

La TSF, ce fut un des premiers mystères m'ayant confronté aux incohérences du monde des grandes personnes.. Un jour, j'ai appris que ça voulait dire Téléphonie Sans Fil. Or, en fait de fil, il y en avait un qui traversait toute la cuisine-salle à manger-salon-salle de bains-lavabo, il partait de l'angle Nord-Nord-Ouest pour s'amarrer 8 ou 9 mètres plus loin dans l'angle Sud-Sud -Est. Dans l'angle NNO, il était relié au poste de TSF qui était campé près de la fenêtre et du fauteuil. LE fauteuil de pépé Nani.

A l'autre bout, il était fixé à un clou. (le fil de fer, pas pépé Nani)

Donc pour de la téléphonie sans fil, c'était paradoxal. Pépé Nani m'a montré par l'exemple ce qu'il en était, en sortant sur la galerie, ce grand balcon couvert de 27 mètres avec glycines et géraniums, il m'a indiqué vers le Nord Nord Est la colline de Fourvière, et son émetteur radio. Là c'était clair, j'entendais la mère Cottivet jaboter dans la cuisine, alors qu'elle devait être sur la tour de Fourvière, et entre la tour et moi, il n'y avait pas de fil. Voilà pour le sans fil. Quant à mon fil de fer qui traversait la cuisine, c'était pas un bête fil de fer, mais une antenne, nuance ! Branchée on the world ! Avec des voix mythiques, magiques, porteuses de tous les envols oniriques.

J'ai l'impression d'avoir connu personnellement Geneviève Tabouis qui attaquait ses chroniques politiques « les Dernières nouvelles de demain, par son célèbre « Attendez-vous à savoir...» et on savait de quoi demain serait fait. Même si à 8 ou 9 ans , on se sent plus concerné par les nouvelles de la Croix Rousse ou du Tour de France que par les amphigouris diplomatiques entre le Kremlin et Washington, la musique des mots et la voix de Geneviève Tabouis, c'était comme des contes un peu ésotériques, avec de temps en temps un nom familier croisé dans une leçon de géographie ou d'histoire. Ou dans une chanson...

 

Sa voix claquait comme l'écume
Et parlait d'horizons perdus

C'est à Hambourg à Santiago
à White Chappel ou Bornéo
C'est à Hambourg, à Santiago
à Rotterdam ou à Frisco

ou à Valparaiso, et dans un port quelque part, « le bar des 5 parties du monde » attendait nos futures escales en espérant y rencontrer une de ces chanteuses qui vous tatouent les souvenirs d'empreintes indélébiles Irène Lecarte hier, Valérie Mischler aujourd'hui, grâce à qui on devinait que

 

« Tout ce qu'on apprend dans le regard des femmes, "

« Ni le feu, ni le fer n'y pourront jamais rien »


Finalement les temps n'ont pas changé depuis la mère Cottivet qui me parlait par le truchement des fils de fer et des ondes invisibles. Aujourd'hui, en 2011, j'ai des nouvelles du monde par le voisin du dessus, figurez-vous que ce garçon est journaliste, il traverse les pays pour allez voir là bas si nous sommes concernés par les frères humains qui subissent les cahots et chaos des agitations et révolutions faisant l'ordinaire de la vie des hommes depuis la nuit des temps.

Mais recevoir ces infos par le voisin du dessus, Etienne de la radio, ça ajoute une dimension supplémentaire. D'abord, il pourrait prendre un mauvais coup, ça me fait souci parfois... Ensuite, « le monde ouvert à ma fenêtre » prend un relief et une présence intenses, on lit un truc dans le journal, on voit des images à la télé, c'est loin, c'est un peu abstrait, mais quand c'est une voix familière, une voix qui correspond à quelqu'un qu'on croise dans l'escalier, ça change beaucoup de choses, me voilà  devenu témoin privilégié, celui qui connait la voix qui raconte, qui ME raconte.. Et je deviens un auditeur particulier, j'ai une sorte d'exclusivité, un supplément de conscience citoyenne et mondialiste.

 

Le monde ouvert à ma fenêtre
Et que je brise ou non la glace
S’il continue à m’apparaître
Que voulez-vous donc que j’y fasse

 

Je ne sais pas pourquoi, mais la plupart des images proposée par la télévision ne m'apportent pas grand chose, pourquoi n'ont-elles pas la puissance d'une photo de Capa, de Cartier-Bresson, de Gilles Caron, d'Eugène Smith, et quelques uns de ces chevaliers du Leica qui allaient au contact?

Au prix de leur vie parfois.

Mais la radio … elle me dessine des paysages plus vrais que ceux que j'aperçois dans les étranges lucarnes, et comme elle ne me souligne pas les différences de bronzage, de vêtures, d'habitation, j'ai souvent le sentiment que les bombes qui tombent ici ou là-bas pourraient bien me tomber dessus, ici et maintenant. Et parfois j'ai même le parfum d'une recette exotique en prime..

Quand Manu Dibango chante « et la nuit descend sur le village » avec la grand mère qui prépare le bon « foufou » j'en ai eu l'eau à la bouche... Il m'a fallu plusieurs années pour l'avoir vraiment sur la langue, en passant à Yaoundé sous Montmartre, côté marché Dejean pour les voisins qui connaissent le quartier...

Les mondes bariolés de musiques et de couleurs exotiques, je les croise tous les jours, entre Dejean et Ornano, c'est un patchwork des gens du monde, il y manque bien quelques Inuits, un ou deux Cheyennes, mais pour le reste, on voyage sans frontière. J'ai même rencontré un australien aborigène au coin de la rue Labat et du boulevard Barbès

Et dans les agoras improvisées qui fleurissent avec enthousiasme dès que le printemps revient, il arrive des scènes que Prévert aurait aimé conter sur une photo de Doisneau et un air de Crolla. Sur une placette, près du kiosque à journaux, des groupes informels devisent avec animation, il y a des africains de toutes les Afriques, des maghrébins, quelques hindous, vêtus à la mode de Guerrisol ou des marques en vue, des dames en boubou, en robes créoles, en pantalons djean Denim et de Tati, certaines en petites jupes à fleurs dansant sur leurs jambes bronzées caramel, et contrairement au folklore montmartrois de naguère, ce n'est plus à la longueur de la jupe qu'on suppute de la vertu de ces dames. C'est même exactement l'inverse, les petites vertus se parent de pantalons sobres, et de tenues plutôt discrètes, revoyez vos fondamentaux sur les attributs vestimentaires et les uniformes de profession, aujourd'hui, la péripatéticienne qui attend le chaland émoustillé sur le banc public n'expose plus la marchandise à l'étal, elle fait boutique son cul sans ostentation, question de précaution policière, mais je digresse, revenons à nos agoras improvisées.

Dont l'une m'a laissé ébloui, voilà : sur la placette précitée, plusieurs groupes de 4 ou 5 personnes discutent, je passe près de quelques africains bon teint, les uns avec casquette US, dûment siglée, un autre avec un bonnet rasta, un autre porte une sorte de panama, ils semblent écouter un grand gaillard taillé footballeur américain, maillot « les lions indomptables » avec un timbre vocal cuivré à la Manu Dibango, et au moment où je passe à portée de voix, cet athlète body buildé Rambo est en train d'expliquer le mythe de la caverne de Platon... Je suis revenu sur mes pas pour faire semblant de voir les affiches du kiosque, et vérifier que ce n'était pas une hallucination auditive, mais non, et il avait un contradicteur-débatteur, un jeune homme mince, plutôt africain de l'Est, et look étudiant. ..

Le mythe de la caverne, en débat à 19h15, dans la rue...

En vérité je vous le dis, un monde où on croise sur un trottoir banal de quartier cosmopolite, des gens qui dissertent de Platon et sa caverne, alors que le groupe voisin s'excite sur la finale Lille-PSG de la Coupe de France, ce monde ne peut pas être foncièrement mauvais.

Et même si Etienne me raconte parfois des trucs pas drôles de Lybie ou d'ailleurs, le monde ouvert à ma fenêtre n'est pas toujours aussi désespérant quand je le visite entre Barbés et Ornano.

Le mythe de la caverne, un soir d'Avril, sur un banc parigot, c'est bien la preuve que le plus inattendu peut surgir à chaque coin de rue.

Et merci le printemps pour ces jolies passantes qui fleurissent de ci de là, avec des jupes aussi courtes qu'une pensée du front national. Et ça fait des économies de tissu par dessus le marché.

On n'est jamais à l'abri d'une bonne nouvelle.

 

Norbert Gabriel

 

Portrait de famille: mon grand-père Giovanni - pépé Nani- avec l'accent tonique sur le "Na" pour que ça chante, avait dans ces années-là entre 55 et 56 ans, et pour bien le situer, il ne craignait pas de faire des roulades dans l'herbe en lutte amicale avec des gamins de 20 ans... qu'il mettait minables ... C'était un grand père mais pas un pépé, d'ailleurs pépéNani, c'est en un seul mot que je l'entends, et puis on l'appelait Nani, pas pépé...  jusqu'à ce qu'il soit arrière grand-père.

 

Crédits:  « Le monde ouvert à ma fenêtre » Jean Ferrat

- Chris Gonzales, des jupes aussi courtes qu'une pensée du front national, c'est un extrait d'une chanson « le centre ville » de l'album Zipholo, c'est pas tout neuf, mais c'est extra.

- avec l'aide bienveillante de quelques uns de mes maîtres de pensée ou de lecture, ou de chanson,

Mac Orlan, Moustaki, Dimey, 


et surtout , spéciale dédicace à Etienne Monin, de Radio France, ma TSF  indispensable.

(avec un merci pour différentes raisons à Kriss, Jean-Charles Aschéro, Claude Villers, qui ne sont plus sur les ondes, et à ceux qui continuent le voyage, là-bas si ....  la vie continue.)

 

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