01/08/2020
Autour de "L'étrangère" ..
Prima la musica, et une interprétation magistrale de la chanson mise en forme par Madeleine Ferré à partir du long poème d'Aragon, "Après l'amour" .. (dans "Le roman inachevé")
Et voici ci-dessous le texte intégral, avec surlignées en rouge les strophes retenues par Madeleine Ferré.
Norbert Gabriel
Je me souviens de cette ville
Dont les paupières étaient bleues Où jamais les automobiles Ne s'arrêtent que quand il pleut Une lessive jaune et rose Y balançait au bord du ciel Où passaient des canards moroses Avec un ventre couleur miel On y a des manières d'être Qu'ailleurs on ne voit pas souvent Juste s'entrouvre une fenêtre Qu'un rideau blanc s'envole au vent Toutes les filles le dimanche S'en vont flâner au bord de l'eau Elles se gardent les mains blanches Pour attirer les matelots Le plus souvent marins d'eau douce Rencontrés sous les peupliers On voit qu'ils ne sont plus des mousses Comme ils dénouent les tabliers Tout est vraiment sans importance Un jour ou l'autre on se marie Les charpentiers dans l'existence Épousent la Vierge Marie
Les hommes facilement chantent Et jurent plus facilement Quand leurs femmes se font méchantes Ils leur procurent des amants Le conjoint rentre sur le tard Avec une haleine d'anis L'épouse élève ses bâtards Et leurs héritiers réunis C'était peu après l'autre guerre Les morts aiment qu'on parle d'eux Or les vivants n'y pensaient guère Ils dormaient déjà deux par deux La vie avait fait ses vendanges Il faut laisser poser le vin Nous n'avions pas tous un cœur d'ange Dans les vignes des années vingt J'étais plus fou que raisonnable Elle ou moi qui donc s'en alla Mais sait-on bien pourquoi le sable Retombe ici plutôt que là J arrivai par un soir de fête Les enfants portaient des flambeaux Tous les vieux jouaient les prophètes Tous les jeunes gens semblaient beaux Sous les pieds partaient des amorces On promenait un Saint doré Ce qui tournait au tour de force Dans les ombres démesurées On avait cueilli les lavandes Gela se sentait à plein nez Aux mains furtives qui se tendent Comme aux paniers abandonnés J'avais ma peine et ma valise Et celle qui m'avait blessé Riait-elle encore à Venise Moi j'étais déjà son passé Le pays me plut comme plaisent Les gares que l'on voit du train Mon adresse y fut Chez Thérèse Treize Place des Tambourins Sous les platanes de la place Il se contait mille folies Rêver seul à la fin vous lasse Ne rien faire ensemble vous lie J'adore le bruit des fontaines La pierre humide où l'on s'assoit Adieu ma princesse lointaine Ici bavarder va de soi Il existe près des écluses Un bas-quartier de bohémiens Dont la belle jeunesse s'use À démêler le tien du mien
En bande on s'y rend en voiture Ordinairement au mois d'août Ils disent la bonne aventure Pour des piments et du vin doux On passe la nuit claire à boire On danse en frappant dans ses mains On n'a pas le temps de le croire Qu'il fait grand jour et c'est demain On revient d'une seule traite Gais sans un sou vaguement gris Avec des fleurs plein les charrettes Son destin dans la paume écrit J'ai dilapidé trois semaines Parmi ces gens insouciants Leur cachant ma plaie inhumaine Et mes songes humiliants Un jour sous les arbres du fleuve Pourquoi s'était-elle arrêtée Fallait-il fallait-il qu'il pleuve Comme il peut pleuvoir en été J'ai pris la main d'une éphémère Qui m'a suivi dans ma maison Elle avait les yeux d'outre-mer Elle en montrait la déraison Elle avait la marche légère Et de longues jambes de faon J'aimais déjà les étrangères Quand j'étais un petit enfant Les choses sont simples pour elles Elles touchent ce qu'elles voient Leur miracle m'est naturel Comme descendre à contre-voie Ces femmes d'ailleurs ont des gestes Qui supposent d'autres plafonds Et des terrasses où l'on reste Sans fin devant des cieux profonds Un air en court dans leur mémoire Contredire au plaisir qu'on prend Et dans la glace de l'armoire Renaît un monde différent Terrains brûlés lentes rivières Où les vapeurs portent là-bas Par une école buissonnière La canne à sucre et le tabac Ou bien ce sont d'autres escales Dans le goudron des ports brumeux Sous les aurores boréales Un bateau à aube se meut L'une dit les eaux transparentes Les plongeurs pourpres les coraux L'autre les barques de Sorrente L'autre le sang roux des taureaux Celle-ci parla vite vite De l'odeur des magnolias Sa robe tomba tout de suite Quand ma hâte la délia En ce temps-là j'étais crédule Un mot m'était promission Et je prenais les campanules Pour les Fleurs de la Passion Tant pis l'autre encore que j'aime Qui tient son peignoir au Lido Et quelle main comme un blasphème Sur sa chambre tire un rideau Ô vagues de l'Adriatique Dont le flux dort dans le reflux Vous vos îles et vos moustiques Je ne vous verrai jamais plus Pour une femme mille et une La chanson finit qu'on chanta Et s'égarent par les lagunes Le Doge et la Malcontenta Dans mes bras les belles soient reines L'avenir les couronnera Voici ma nouvelle sirène Toute la mer est dans mes bras A chaque fois tout recommence Toute musique me saisit Et la plus banale romance M'est l'éternelle poésie L'une s'en vient l'autre s'envole Quatre murs un roman défunt J'ai perdu son nom ma parole Que m'en demeure le parfum Nous avions joué de notre âme Un long jour une courte nuit Puis au matin bonsoir Madame L'amour s'achève avec la pluie J'ai vu s'enfuir l'automobile À travers les paupières bleues
Car le bonheur dans cette ville N'habite que le temps qu'il pleut |
17:58 Publié dans chanson, Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ferré, l'étrangère, montand, madeleine ferré
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