01/09/2008
Etre ou ne pas être en scène
Show, scène and biz
Face aux convulsions économiques du monde musical, écrivait Le Monde, le PDG de Live Nation, Michael Rapino, est arrivé à la conclusion qu’il ne pouvait se contenter des concerts pour continuer à grandir. D’où une boulimie d’acquisitions, depuis les organisations de tournées jusqu’à la gestion de lieux de concerts (170 dans le monde, dont le Fillmore à San Francisco, le réseau américain House of Blues, la Wembley Arena à Londres...), en passant par les ventes de billets, de tee-shirts ou l’édition de sites internet de fans. Live Nation a même mis un pied dans la production de disques (domaine jusqu’alors réservé aux maisons de production) depuis l’arrivée spectaculaire de Madonna.
Le monde du spectacle évolue, avec un rôle de plus en plus important de la scène dans la carrière d’un artiste. Pour ceux qui trouveraient ça follement new-look, rappelons que jusqu’en 1955, un artiste était consacré par l’enregistrement d’un disque après avoir été consacré par la scène. De cette vérité de base, l’économie du spectacle voit arriver quelques super-majors qui mettent la main sur tout ce qui concerne les tournées : le concept « 360 degrés » c’est un contrôle total, de tout ce qui concerne un artiste, avec des concerts « clés en main » et un plateau complet. Un des inconvénients possibles de ce pack préfabriqué, tient à l’hégémonie conduisant à des situations manichéennes, soit tu es dans ce système, soit tu n’existes pas.
Un peu comme les effets pervers des top 50, et des têtes de gondole : tu es en tête de gondole si tu es dans le top 10, sinon ? Sinon rien.
Quand une méga structure aura pris le leadership en achetant les salles de spectacles les plus importantes, en ayant sous contrats les artistes les plus connus donc les plus rentables, quelle place restera-t-il aux artistes en développement réfractaires aux grands ensembles bien formatés ?
Et les festivals qui font des plateaux sur mesure, pourront-ils proposer ces rencontres inter-artistes quand les décisions seront prises en amont par les gestionnaires décisionnaires ?
Déjà que les majors du disque sont assez réticentes à ce genre de rencontre, quand elles ne font pas tout pour les empêcher, l’inter convivialité sera gravement hypothéquée par ces nouvelles structures.
Le problème n’est pas nouveau, dans « Questions à la chanson » Moustaki raconte comment un duo avec Barbara a été saboté par les deux maisons de disques, et 35 ans après, une rencontre Moustaki-Olivia Ruiz a été ... disons tellement soumise à des tergiversations, contre-temps,ou imprévus, qu’elle n’a pas eu lieu. (je dois préciser que Moustaki ne revient jamais sur la parole donnée, alors que les intermédiaires d’Olivia Ruiz chez Polydor n’ont pas été très coopératifs, c’est le moins qu’on puisse dire)
Tout va reposer sur l’autonomie des artistes, laquelle dépend de sa notoriété, on tourne en rond. Cette autonomie est toujours relative, à part Jean Louis Murat qui a l’air d’être seul décisionnaire de ses choix artistiques, il y a toujours des interventions, de la part de l’entourage proche ou moins proche. C’est Hallyday à qui son ex a refusé le disque de blues qu’il voulait faire, et dont l’entourage « proche » a récusé les chansons que Thiéfaine et Paul Personne avaient proposées, à sa demande... Si le blues c’est ce qu’on a dans le cœur et les tripes, on peut douter de l’authenticité de ce Johnny blues.
C’est un ACI talentueux à qui on refuse l’enregistrement d’une chanson, chanson que Claire Diterzi a récupérée illico. (plus libre, Claire Diterzi ? plus exigeante ??)
Après les diktats des maisons de disques, qui ont depuis longtemps oublié la notion de création (pour la plupart) voici le diktat des entrepreneurs qui composeront des plateaux sans avis concertés, ce qui n’est pas nouveau, mais on risque d’aller vers une segmentation de plus en plus étroite. Dans un festival, on peut très bien envisager un co- plateau avec Jeanne Cherhal et Olivia Ruiz,(Francos 2004) je ne suis pas sûr que dans le concept « 360° » ce soit toujours possible, si les artistes ne sont pas dans la même structure économique.
Jules Frutos, cogérant d’Alias (producteur des spectacles de Cure ou Jamiroquai) et du Bataclan (salle de concert à Paris) explique au Monde : « Il y a de fortes chances pour que Live Nation tente d’acheter toutes les salles de concert en France qui seront à vendre. » Également président du Syndicat national des producteurs, diffuseurs et salles de spectacles (Prodiss), il estime que l’arrivée de Live Nation en France « remodèlera sans doute le paysage, quitte à ce qu’il y ait un peu de casse ».
De combien la casse ? et dans quel secteur ? on risque de voir s’amplifier le grand écart des années « life in the bar » une multitude de petits lieux permettant à des jeunes de faire leurs débuts, mais un gros trou entre le bistrot à 30 spectateurs, et le Zénith. Les petites salles d’une centaine de places (le Sentier des halles par exemple, ou le café Ailleurs) qui ont été un vivier sans équivalent n’ont pas pu tenir quand les loyers ont été augmentés dans des proportions déraisonnables. Alors peut-être faut-il compter sur les pouvoirs publics, pour rouvrir les Trois Baudets, par exemple, pour mettre à disposition des salles de 100 à 150 places, permettant un vrai spectacle, dans de bonnes conditions, comme La Reine Blanche. Hélas, les pouvoirs publics ne sont pas toujours très concernés par la scène chanson à ce qu’il semble. Voir France –Inter et la suppression de Pollen et ses concerts gratuits. Pourtant, les municipalités étaient très demandeuses de ces soirées multiculturelles, chanson, musiques urbaines, slam, rock et rap...
De toute manière, il serait bel et bon que les artistes qui entrent dans la carrière ne soient pas obligés d’être leurs propres producteurs, leurs propres tourneurs. Chanter dans une salle qu’on a louée, et se demander si les entrées vont couvrir les frais, et phantasme absolu, payer les musiciens, n’est pas la meilleure mise en condition pour faire un bon spectacle.
Imagine, comme disait Lennon, des artistes chantant devant un public qui a payé sa place, (avant un demi) dans un lieu qui paye un cachet, c’est pas très compliqué comme idée, utopique ? peut être, mais on n‘est jamais à l’abri d’une bonne nouvelle.
Norbert Gabriel
Photos NG : Tiken Jah Fakoly, (Pollen Nanterre 2007) et Kwal (La Maroquinerie 2008)
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