01/01/2009
Lettre pour 2009
Nous voici en 2009, Bonne Année, Bonne Santé, et caetera. Ce sera une année de récession, sauf pour les travailleurs pauvres et les chômeurs qui sont en expansion. Les SDF meurent dans les rues, les prisons débordent, les hôpitaux aussi, et étant donné les perspectives socio-économiques, ça va pas s’arranger, la précarité a toujours généré de la délinquance (ça commence avec un chèque sans provision dans les statistiques) et une fragilité sanitaire, moins d’argent, moins de soins, et on n’a plus que les urgences pour se soigner, d’où les sursaturations de ces services.
Nous avons des éminences gouvernementales qui s’occupent de tout ça, avec une efficacité dans la communication qui fait penser que tous les ministres ont reçu des lunettes roses dans leur maroquin ministériel (quand je dis « rose » n’y voyez pas de couleur politique) et demain ça sera vachement mieux, et même on rasera gratis ; en attendant, on nous prie de serrer les ceintures, et pour éviter les sollicitations qui induisent des frustrations, plus de pub dans les télés publiques. Les antiques potentats romains savaient qu’ils pouvaient se permettre pas mal de choses tant que le peuple avait du pain et des jeux. Nos contemporains potentats ont bien compris une partie de la leçon, pour les jeux ça va, pour le pain, ça va parfois moins bien. Heureusement, il y a les Restos du Cœur, et Emmaüs, mais une société moderne peut-elle se défausser de ses obligations de base sur des associations bénévoles ?
J’aimerais bien chanter quelque mélodie guillerette pleine de fantaisie et de joie de vivre, personnellement j’ai un penchant pour l’optimisme, mais, à moins d’habiter dans une campagne préservée des agitations et des convulsions urbaines, sans journaux ni télé pour ne pas voir les misères du monde, j’ai un peu de mal à yodler lala-ï-tou avec serpentins et cotillons. Pour une fois, je n’ai pas de chanson en situation, mais c’est un chanteur, poète, saltimbanque magnifique qui est mon invité, avec une lettre que les moins de 33 ans ne connaissent peut-être pas, pour les autres, ce sera un rappel. Dans un drame personnel majeur Julos Beaucarne a écrit à ses amis, au cours de la nuit même qui a suivi la mort de sa femme*, la lettre que voici:,
Amis bien-aimés,
Ma Loulou est partie pour le pays de l'envers du décor, un homme lui a donné neuf coups de poignard dans sa peau douce. C'est la société qui est malade, il nous faut la remettre d'aplomb et d'équerre par l'amour et l'amitié et la persuasion.
C'est l'histoire de mon petit amour à moi, arrêté sur le seuil de ses trente-trois ans. Ne perdons pas courage, ni vous ni moi. Je vais continuer ma vie et mes voyages avec ce poids à porter en plus et mes deux chéris qui lui ressemblent.
Sans vous commander, je vous demande d'aimer plus que jamais ceux qui vous sont proches ; le monde est une triste boutique, les cœurs purs doivent se mettre ensemble pour l'embellir, il faut reboiser l'âme humaine. Je resterai sur le pont, je resterai un jardinier, je cultiverai mes plantes de langage. A travers mes dires vous retrouverez ma bien-aimée ; il n'est de vrai que l'amitié et l'amour. Je suis maintenant très loin au fond du panier des tristesses. On doit manger chacun, dit-on, un sac de charbon pour aller en paradis. Ah ! Comme j'aimerais qu'il y ait un paradis, comme ce serait doux les retrouvailles.
En attendant, à vous autres, mes amis de l'ici-bas, face à ce qui m'arrive, je prends la liberté, moi qui ne suis qu'un histrion, qu'un batteur de planches, qu'un comédien qui fait du rêve avec du vent, je prends la liberté de vous écrire pour vous dire ce à quoi je pense aujourd'hui : je pense de toutes mes forces qu'il faut s'aimer à tort et à travers.
Julos Beaucarne
*Le 2 février 1975, un déséquilibré a poignardé Louise-Hélène-France, Loulou. Dans tous les débats sur la loi du Talion, le droit des victimes, sur la légitimité de la vengeance, le deuil à faire, on pourrait lire en préambule cette lettre de Julos, dont la portée universelle est de plus en plus actuelle.
Last but not least, malgré les vents contraires qui poussent les intermittents vers des terrains malaisés, sablonneux, escarpés, voire sans issue, la scène et les spectacles vivants bougent encore avec vaillance, et là, on partage des moments qui rendent heureux, un peu plus longtemps que le temps d’une chanson. Merci à ces artistes qui ne capitulent pas, et qui continuent à engendrer un peu de beauté humaine (merci et salut à Pierre Barouh), et grâce à ces petits moments choisis, et partagés, et en attendant la bonne année, on peut se dire qu’on n’est jamais à l’abri d’une bonne nouvelle.
Norbert Gabriel
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