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05/10/2016

Quand Albert écrivait à Django ...

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15 Septembre 1946

 

Cher Monsieur Reinhardt,

En Juillet dernier, je fus convié à participer à New York à un colloque sur la paix dans le monde. Le soir venu, avec quelques amis, nous nous sommes rendus au Café Society à Greenwich village afin d’assister au concert donné par Duke Ellington, car on nous avait informé que vous étiez maintenant membre de son orchestre et telle ne fut pas notre surprise de constater votre absence.
À la fin du concert, j’allais féliciter Monsieur Ellington pour sa prestation pianistique et la grande qualité de son orchestre.

Il nous présenta la très chaleureuse Rosetta Tharpe qui assurait la première partie de la soirée. C’est une femme très douée, pourvue de grandes qualités morales s’accompagnant d’une étrange guitare, possédant en son centre une espèce de couvercle de métal vibrant engendrant un son envoûtant correspondant parfaitement à son répertoire au caractère très spirituel.

Vous pensant quelque peu souffrant, j’interrogeais Monsieur Ellington, qui eut l’air navré de ne pas satisfaire ma requête, ne sachant pas où vous étiez présentement. Il me rassura sur votre état de santé et me confia que la veille au soir vous étiez dans une « forme électrique » (c’est le terme qu’il a employé). J’en déduisis que vous étiez en bonne santé tout en constatant que Monsieur Ellington avait une conception quelque peu personnelle de l’électricité. Très posément, il me fit votre éloge vantant vos qualités d’expressions hors normes laissant même ses propres musiciens dont le jovial Fred Guy, subjugués par votre facilité à changer de tonalité dans l’improvisation.

J’ai cru comprendre que vos habitudes étaient peu compatibles avec la rigueur imposée par les tournées américaines et comme je vous comprends : toute ma vie, j’ai lutté pour la liberté et je continue à lutter contre toutes les contraintes susceptibles de juguler l’esprit créatif si cher au musicien comme au scientifique.

Vous et moi sommes de la famille des déracinés, quelque part nous sommes des incompris et je serais le plus heureux des hommes le jour où je vous serrerais la main. Et ce jour-là, nous pourrions échanger, si vous n’y voyez pas offense quelques notes, vous et votre guitare que beaucoup considèrent comme exceptionnelle et moi avec mon violon, un Aegidius Klotz de très bonne facture que ma mère avait exigé de mon père qu’il l’achetât afin que j’entreprenne une carrière de violoniste, car tels étaient ses désirs… J’en joue encore un peu à l’occasion lorsque j’ai besoin de ressentir, et je pense que vous me rejoindrez sur ce thème, la sphéricité du tout qui est si peu de chose comparé au vide créateur.

Nous nous rencontrerons un jour, j’en suis sûr, car rien n’est établi.

Sincèrement vôtre.

Albert Einstein.

 

Une sorte de légende raconte qu'après avoir rencontré Cerdan, Django a "oublié" d'aller au concert où il était attendu, invité pour la deuxième soirée par Duke Ellington. C'est vrai Django n'était pas au rendez-vous ce soir-là, mais la vraie raison est sans doute différente. Quand il a quitté Cerdan pour aller au concert, Django n'a pas su se faire comprendre du chauffeur, plus ou moins persuadé que tout le monde savait que the Duke se produisait à New York. Et il n'a pas voulu avouer ce453.jpgtte "faiblesse". En prétendant avoir oublié. Django a toujours été entouré par sa famille, ou ses musiciens, et pour la première fois, il était isolé dans un Nouveau Monde qu'il ne comprenait pas.  Il était venu aux States sans sa guitare, persuadé que les luthiers américains lui proposeraient des guitares de grande qualité, mais la Gibson (qu'on voit trop souvent sur des photos) ne l'a pas satisfait, il a demandé à Jean Sablon, son ami fidèle, de prendre l'avion avec sa chère Maccaferri-Selmer. Et c'est avec ces guitares qu'il a enregistré toute son oeuvre musicale. Ici celle de Crolla. 

 

"J’ai cru comprendre que vos habitudes étaient peu compatibles avec la rigueur imposée par les tournées américaines..."   Tout est dans cette ligne d'Albert Einstein,  Django à New York, c'est Crazy Horse à Manhattan, un goéland coincé entre le béton des gratte-ciels et le bitume des trottoirs, plus de terre, et à peine un bout de ciel à entrevoir.  Un monde où il n'a plus de repères, et dans la grosse machine de Duke Ellington, Django est presque un corps étranger qui ne trouve pas vraiment sa place.

 

S'il y a deux livres à avoir sur Django, ce sont ceux de François Billard et Alain Antonietto, et celui de Patrick Williams, deux livres de référence.

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 Et aussi, le superbe coffret très complet, "Django Reinhardt, gentleman manouche"

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Latcho drom...

 

Norbert Gabriel

Et bien sûr, quelques notes pour la route, on n'est jamais à l'abri d'une bonne nouvelle...