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04/01/2010

Les tartines à Pierrot

« Les tartines à Pierrot ». (j’ai la mémoire qui chante, sur un air de clarinette..)

 

J'ai la mémoir' qui chante

Je me souviens très bien

On habitait cette grande maison

Dite le Petit Perron

C’était le temps c’était le temps

Des jeudis des enfants

Et d’un saxo, d’une clarinette

Qui me tournaient la tête.

             (adaptation de circonstance)             

 

 

 

Chaque fois que je me fais une tartine grillée, je pense à Pierrot et sa clarinette. Et à ses tartines, pas celles de la clarinette, les tartines à Pierrot. Et je pense souvent à lui, et du coup, je vais mettre sur la platine un bon vieux Bechet, tiens « La nuit est une sorcière » ou « La colline du Delta » ou encore un Gershwin, « Rhapsody in blue » avec cette intro de clarinette fabuleuse, un glissando qui part du Mi grave pour monter au Do suraigu, il n’y a qu’une clarinette qui puisse faire ça. Et ça me fait penser à Pierrot. Tonton Pierrot, c’était mon oncle, mais on l’a toujours appelé Pierrot. A l’époque de ces fameuses tartines, Pierrot est un jeune homme de 20/22 ans, mince et brun, c’est l’amoureux d’Ada, la sœur de ma mère, mais Ada, c’est plus une grande sœur qu’une tatan*, voilà pourquoi je les appelle Ada et Pierrot. A l’époque des tartines en question, ils sont mariés, et Pierrot est musicien, en plus d’ouvrier très qualifié dans une grande usine, musicien de clarinette et de sax alto. C’est la clarinette qui m’a le plus fasciné, c’est un instrument d’une puissance et d’une souplesse étonnantes, et en plus elle se démonte en 5 ou 6 morceaux, et elle tient dans un petit coffret grand comme une boite à cigares, des havanes, mais quand même. Mais je sens que vous piétinez en attendant la tartine, j’y viens. Donc Pierrot est musicien le week-end, pas que les balloches du sam’di soir ou du dimanche, il y avait parfois des tournées à l’étranger, comme cette tournée en Tunisie, qui est à l’origine des tartines ... Ah enfin, voilà les tartines !!!

Il faut vous dire que cette tournée ou ce voyage avait valu à l’orchestre de fréquenter un ou plusieurs grands hôtels, d’y découvrir des choses qu’on ne voyait qu’au ciné quand on est né à Pierre Bénite, banlieue Sud-Sud-Ouest de Lyon, banlieue ouvrière et maraichère peu équipée en hôtel de luxe. Je sais même pas s’il y avait un hôtel tout court. Au retour de cette tournée Pierrot nous a ouvert une porte sur des mondes aux plaisirs inconnus, insoupçonnés, et ça, avec une tartine. Une sorte de rôtie...

L’effet de cette tartine, c’est comme l’effet papillon, qui bat des ailes dans votre jardin et qui déclenche un tsunami en Australie, la tartine de Pierrot était magique, en plus d’être grillée, ou plus exactement parce qu’elle était grillée. C’est toute la différence, la tartine normale, beurrée, trempée dans le café au lait, parfois avec confiture, c’était l’ordinaire quotidien du petit déjeuner, et parfois du goûter. En ce temps-là, vous ai-je dit que j’avais dans les 7/8 ans ? on se tartinait généreusement de bon pain amélioré, beurre, confiture ou chocolat, de ce pain à la croûte craquante, et à la mie savoureuse. La magie de la tartine à Pierrot, c’était de la passer au four, pour qu’elle soit dorée et croustillante dessus, et moelleuse dedans. Beurrée, bien sûr... Avec le beurre fondant sur la mie dorée... Je ne sais pas si vous percevez la dimension de la merveille ? Peut-être pas... Proust avec sa madeleine faisait un voyage dans le passé, dans des sensations retrouvées, mais la tartine à Pierrot, elle m’envoyait dans des mondes de luxe, de voluptés et de plaisirs édéniques, des paradis lointains, des mondes imaginaires qui n’étaient pas que des phantasmes impalpables, il y avait du réel, quelque part, ailleurs, la preuve ? la tartine, pardi !

Peut-être trouvez-vous qu’il y a un peu d’emballement hypertrophié dans cette tranche de vie, et de pain... Evidemment, aujourd’hui, pour une tartine grillée, vous mettez le pain pré-tranché dans un machin électrique, vous appuyez sur un bidule, et hop, ça saute avec pétulance dans votre tasse de café, ou de thé, ou de chocolat, mais à Pierre-Bénite, banlieue... (voir plus haut) en ces années-là, faire une tartine grillée était une œuvre délicate, exigeant savoir-faire et doigté, l’outil disponible était la cuisinière familiale, polyvalence garantie, four, chauffage, chauffe-eau, à bois ou à charbon, avec des cuivres à faire briller, pour faire joli ... Et faire griller une tartine dans un four de cuisinière à charbon sans la calciner, la tartine, en trouvant la juste mesure pour qu’elle soit dorée dessus et moelleuse dedans, c’est autre chose que d’appuyer sur un bitonio électrique , et lire le journal en attendant. Un travail d’artiste de la clarinette et du sax alto, ayant fait un voyage en Tunisie : Pierrot !

Voilà comment les mondes entrevus dans les films américains, avec Ava Gardner, Gary Cooper, Rita Hayworth, James Stewart... se sont concrétisés, par des sensations gustatives nouvelles, avec des produits du quotidien sublimés par un musicien Pierrot Grilli.

De Pierre-Bénite. Chacun ses aristocraties.

Et quand j’ai la mémoire qui chante mes jeunes années (si je vous dis que j’ai 35 ans et demi, vous allez bien vous douter que c’est pas tout-à-fait vrai) il y a toujours ces moments particuliers, vraiment privilégiés, qui portent plus les lendemains qui chantent, que la nostalgie d’un passé révolu. Et dans cette mémoire qui chante, une clarinette, parfois rieuse, parfois bluesy, toujours vivante.

On n’est jamais à l’abri d’une bonne nouvelle.

 

Norbert Gabriel.

 

Ne m’en veuillez pas si je dédie cette page en particulier à Ada, (et Pierrot), et Liliane, Gilbert, (et Patrice)

Et à la maison du Petit Perron, décor de la scène de « la tartine à Pierrot ». Au dernier étage, la porte à droite dans la galerie, "notre" galerie, seuls occupants du dernier étage

 

monument-historique_medium.jpg

Coordonnées géographiques  Latitude : 45.7036   Longitude : 4.82417,

Façade à l'Est pour le soleil du matin

 

Pour la B.O. : les clarinettes vintage de Benny Goodman, les clarinettes klezmer de Sirba Octet, un coup de Rhapsody in blue, et de « La colline du Delta » (un introuvable, en quelque sorte la negro rhapsody de Sidney Bechet, qu’il n’a pas enregistrée, mais, Claude Luter l’a fait, c’est du sax soprano, et c’est somptueux) et Michel Portal..

 

NB : entre les souvenirs d’enfance des années lointaines, et les réminiscences du patois lyonnais, une ou deux précisions, « tatan » est la forme enfantine lyonnaise de tante, comme la tartine à Pierrot, sonne plus vrai que la forme rigoureuse « la tartine de Pierrot »

Et, last but not least, Sidney Bechet n’est pas là par hasard, quelques années après les tartines, Pierrot Grilli jouait dans un orchestre qui accompagnait Bechet quand il passait dans la région de Lyon.

 

Rezvani-Bassiak a écrit exactement (avec sax et clarinette d’origine, il n’y a pas de hasard..)

 

J'ai la mémoir' qui flanche

J'me souviens plus très bien

Habitait-il ce vieil hôtel

Bourré de musiciens

Pendant qu'il me pendant que je

Pendant qu'on f'sait la fête

Tous ces saxos, ces clarinettes

Qui me tournaient la têt'.

 

 

 

10:20 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : musique, bechet, jazz, chanson