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17/02/2013

Chanter, la langue de chez nous ..

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 «La chanson est l'expression la plus authentiquement populaire. Le seul art qui soit resté près de ses sources. Un des rares où toutes les valeurs Qulturelles (avec un Q soit mises échec)

(…) Piaf et Brassens étaient aussi des parias de l'éducation. Tout comme Gershwin et Django Reinhardt. La pauvreté du bagage scolaire n'a jamais empêché qui que ce soit de chanter.

Un aphone inculte, par sa seule sensibilité, peut émouvoir. Mieux que la voix ou le cerveau les plus cultivés.»

 

Ces lignes sont de Georges Moustaki, «Questions à la chanson 1973». Elles sont d'une pertinence éternelle. Dans le débat qui revient régulièrement à la une des interrogations existentielles sur la chanson à texte, ou la chanson « pas à texte », on ergote sur le fait que la bonne chanson se doit d'être forcément dans la langue de chez nous. Qu'on soit bantou, auvergnat, alsacien, patagon ou brésilien, hors du langage natal, pas de salut. Peut-être. Ou peut-être pas. Il y a parfois des mystères qui nous dépassent. Je connais assez bien quelqu'un qui a été élevé au bel canto, l'opéra à la TSF, ou dans l'atelier de mon grand-père, Luis Mariano ou Caruso dans la cuisine-salon-salle à manger, et qui un jour, vers 13-14 ans a découvert « Fleuve profond » une émission qui racontait le negro-spiritual, un choc émotionnel d'une intensité inouïe, c'était quelque chose que je ressentais comme si c'était en moi depuis toujours. Sans comprendre le sens des mots, je percevais bien le sens de la musique, et la force du propos. Ce n'est pas pour autant que j'ai balancé à la poubelle Bécaud et « mes mains qui dessinent dans le soir la forme d'un espoir qui ressemble à ton corps » ou Brassens, Marie-Josée Neuville, ou Brel, ou Félix Leclerc, eux qui me parlaient avec

«cette langue belle à qui sait la défendre.
Elle offre les trésors de richesses infinies
Les mots qui nous manquaient pour pouvoir nous comprendre
Et la force qu'il faut pour vivre en harmonie. »

Il n'était plus question d'ergoter sur le bien-fondé de l'imparfait du subjonctif et des beautés de Ronsard ou Malherbe dans leur écriture, la chanson était devenue un formidable générateur d'émotions, portées par des voix, des voix venues de partout

C'est pas seulement ma voix qui chante
C'est l'autre voix, une foule de voix
Voix d'aujourd'hui ou d'autrefois
Des voix marrantes, ensoleillées
Désespérées, émerveillées
Voix déchirantes et brisées
Voix souriantes et affolées
Folles de douleur et de gaieté

et qu'elles chantent en slang, en argot, en russe ou en patois javanais, quand il y a une émotion qui passe, pas besoin de sous-titres. C'est pourquoi, avec ma pile en vrac jamais rangée, à côté de la chaîne, avec Ferrat, Jacques Yvart, Elisabeth Wiener, Higelin, Pagani, Pauline Julien et Anne Sylvestre, Pierre Barouh, une partie de ceux qui sont là depuis plus de 20 ans, il y a aussi Melody Gardot, Madeleine Peyroux, Alela Diane, Vissotski, qui ne sont pas tout à fait francophones, mais qui me racontent des histoires. Comme Serge Utgé-Royo, dont tout le répertoire est inspiré d'une histoire, celle des exilés. Et de tous les exilés finalement. Utgé-Royo m'a fait comprendre une chose que je n'avais pas vraiment cernée, c'est la qualité de son écriture dans une langue parfaitement maîtrisée qui crée cette addiction à cette forme de chanson qui raconte. Elle est « à texte », bien sûr, mais ce n'est pas toujours suffisant. Il faut le fond et la perfection de la forme pour ne pas casser la magie par une rime hasardeuse, qui me ferait décrocher.

Il y a des interprètes ou auteurs qui essaient de me raconter des histoires, mais quand j'entends «le soleil-le dans le ciel-le, sur le port-re...» je peux pas. Et il y aussi «un mirador-re» pour achever le tableau. Bien que la voix soit belle, la mélodie réussie, ça ne passe... Et je suis beaucoup plus touché par la voix de Léonard Cohen, celle de Billie Holiday, ou celle de Lou Doillon récemment, entendue en aveugle à la radio. Sans pré annonce, ni quoi que ce soit. Sans image glamour, la voix, l'expression vocale, quelque chose qui émeut, c'est tout. Le fait que ce soit en français, n'est pas une garantie d'extase textuelle. Sinon les rappeurs seraient en orgasme perpétuel avec leurs rimes appuyées et scandées en mode marteau piqueur. Durant des années, «My gypsy wife» de Léonard Cohen m'a bouleversé sans que j'aie jamais eu envie de chercher la traduction. Une fêlure dans la voix, un écho de violon

Il est sûr que je suis souvent devant les scènes françaises, celles de Louis Ville, Agnès Debord, Valérie Mischler, Bernard Joyet, et celles et ceux des Lundis de la chanson, n'empêche que Chappel Hill m'a envoyé dans les nuages un peu comme The Doors ou Johnny Cash. Mais pas Presley … Sorry Elvis, t'as une belle voix mais ça ne me raconte pas grand chose.

Le travers qui se répand chez les néo french rockers babillant en anglais canada dry, est en effet préoccupant, c'est vide, c'est creux, c'est sans intérêt. Mais ça peut faire gigoter en buvant une bière, et en discutant avec les copains.

Aujourd'hui, tout le monde se fait un point d'honneur de reprendre les chansons de Leprest... Pourquoi pas? Il n'y a pas tant de maîtres dans ce domaine, mais combien savent vraiment apporter quelque chose de neuf, de mieux que l'original? Ce qui vaut aussi pour les adaptations qui émigrent, mais c'est un autre débat.

J'aime assez le parcours de Louis Ville, qui a fait du rock en anglais, et qui s'est mis à écrire en français pour être plus précis et riche dans ce qu'il voulait partager. «Cinémas, cinémas» c'est de la chanson qui raconte, qui a du sens et du son . Une chanson dont Pierre Dac aurait dit:«Pour bien comprendre les gens, le mieux est d'écouter ce qu'ils disent.» Bien sûr qu'on comprend mieux quand c'est la langue de chez nous.

Que ce soit une langue belle et riche, personne ne devrait contester ce fait Que la chanson soit un art populaire, c'est aussi une évidence. Mais la musique est aussi un langage universel, sans frontières, qui s'enrichit de métissages heureux, et qui s'appauvrit quand des néo-rockers babillent des insignifiances en anglais, parce que c'est tendance, et que ça se «dance»... Comme «La danse des canards», c'est dansant, et français. Mais il ne suffit pas non plus que ce soit en français pour avoir un label de qualité systématique. Genre vu dans «Nos Enchanteurs» qui ne serait qu'Only French, mais si on y chante plus souvent dans la trace de Jehan Rictus ou Gaston Couté, et leurs descendants que dans celle d'Eric Morena ou de Chantal Goya, ce serait dommage de se priver d'Elisabeth Caumont, cervantesque princesse Micomiconne qui explore avec bonheur les espaces ellingtoniens ou ceux de Chet Baker. Et irait-on se priver aussi de Paco Ibanez ou Angélique Ionatos parce qu'ils ne chantent pas qu'en français ?

Peut-être que ça se discute, c'est un point de vue qu'on peut ne pas partager. Peut-être que c'est un crime de lèse majesté de saluer un album qui ne parle pas français.

Mais j'ai du mal à limiter mes enchantements au format hexagonal quand je peux avoir le monde entier à découvrir.

« Le monde ouvert à ma fenêtre... » a toujours des airs balladins à découvrir, on n'est jamais à l'abri d'une bonne nouvelle.

 

Norbert Gabriel

 

 Tu me diras que j'ai tort ou raison,

Ça ne me fera pas changer de chanson,

Je te la donne comme elle est,

Tu pourras en faire ce qu'il te plaît.

Et pourtant dans le monde

D'autres voix me répondent

Et pourtant dans le monde...

Bande son:

Pour le langage universel de la chanson, voici l'archétype de la réussite, avec images si on veut, ce serait dommage de se priver d'Elisabeth Masse, mais la première fois, c'était sans autres images que celle générées par la voix de Louis Ville  ...http://video.mytaratata.com/video/iLyROoafzmlS.html

«The gypsy wife « (avec commentaire de Leonard Cohen) http://www.youtube.com/watch?v=H2byWWMmf20  ( from the record: Field Commander Cohen. Tour of 1979 (Sony Music ent. Columbia. 501225 2

Et la version studio, la première .. http://www.youtube.com/watch?v=l9K-3JTzP6I

 

Merci à Yves Duteil et Jacques Prévert pour « La langue de chez nous » et « Cri du coeur »

et Georges Moustaki, « Et pourtant dans le monde »