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28/12/2013

Eloge du scorpion ….

 

Scorpions wallpaper2.jpgTu es la plus étrange des créatures, en somme,

Et s’il y a tant de misère sur terre
C’est grâce à toi, mon frère,

Si nous sommes écorchés jusqu’au sang,
Pressés comme la grappe pour donner notre vin,
Irai-je jusqu’à dire que c’est de ta faute, non,
Mais tu y es pour beaucoup, mon frère.

 

Yves Montand et Lavilliers, et surtout Nazim Hikmet, se sont penchés sur ce pauvre scorpion dont on médit sans cesse... comme quoi ce serait un affreux jojo jamais content, carrément méchant, genre à se nourrir de son propre venin pour être conforme à sa nature. C'est pas faux … et la nature est injuste. Elle fabrique des papillons fantasques, des gentils colibris, des gracieuses libellules et des scorpions. Un peu comme l'homme a créé les snipers. Le sniper, c'est un artiste du tir, un esthète. La cible, il s'en fout. Pourvu qu'il mette la balle au centre, que ce soit dans la tête d'un terroriste preneur d'otage, dans une courge ou dans le dos d'une femme qui est allée chercher de l'eau dans les ruines d'une ville en guerre, pourvu que ce soit à 300 ou 500 mètres, sinon c'est pas drôle, ça l'excite, ça justifie son art de tireur d'élite. C'est son métier, comme un jeu, il est payé pour ça, il fait son boulot. Le scorpion aussi, c'est sa nature, il produit du venin, il s'en sert. Qu'est-ce qu'on peut faire contre ça ? Une histoire, qui est peut-être vraie, raconte qu'un scorpion doit traverser une rivière pour fuir un incendie. Mais il ne sait pas nager. Arrive un crapaud, le scorpion l'implore,

- Prends-moi sur ton dos

- Eh oh, y a pas marqué ballot, dit le crapaud, tu passes ton temps à piquer tout ce qui passe...

Le scorpion supplie, promet, et le crapaud, bon gars, l'embarque, et vogue sur l'onde. Et au milieu de la rivière, tchack! Le scorpion pique... Le crapaud à moitié mort a le temps de gargouiller avant de couler,

- Mais enfin, pourquoi ?

- Parce que c'est ma nature dit le scorpion, en coulant de concert.

C'est le résumé d'un conte africain. Rapporté par une sorte de rossignol griot, ou de rousserolle effarvatte, une voyageuse infatigable. Elle fait chaque année la migration d'Afrique à l'Aquitaine, de roseau en roseau, c'est une discrète, et a priori, elle se fout des scorpions et de leurs mauvais rousserlole.jpginstincts. Mais il n'est pas exclu qu'elle ait sous la plume quelques vers de Nazim Hiskmet,

Comme le scorpion, mon frère,
Tu es comme le scorpion
Dans une nuit d’épouvante.
Comme le moineau, mon frère,
Tu es comme le moineau,
Dans ses menues inquiétudes.

Quand on voyage, on glane de ci de là, des bouts de chansons, des bribes de musique, des échos... Tous ne sont pas des échos agréables, il y a des vents mauvais. Il y a déjà quelques décennies Camus avait déploré que « le réflexe remplace la réflexion, et la méchanceté remplace l'intelligence » on voit ça tous les jours dans les étranges lucarnes pour peu qu'on s'y égare. Ou sur des forums, au nom de la liberté d'expression, ça se défoule avec bile et venin, Et parfois la méchanceté se combine à l'intelligence, c'est le principe du scorpion en quelque sorte. Peut-être que ce pauvre petit scorpion n'a pas été aimé par sa maman quand il était petit, c'est triste. On ne selket 2.jpgguérit jamais de son enfance. Peut-être qu'il trouvera un peu de consolation en se souvenant que les Egyptiens l'ont associé à une belle fille, Serket, ou Selkis, laquelle a un bon fond, elle protège des effets néfastes du bestiau. Et puis, il paraît que le venin des scorpions est particulièrement efficace contre les autres arthropodes mais peu contre les humains. Souvent, les piqûres chez ces derniers ne produiront que des effets locaux, éphémères. On n'est jamais à l'abri d'une bonne nouvelle.

 


Norbert Gabriel

colibri-circe-male-vol3.jpgPS ; mais pourquoi un éloge de cette bestiole assez peu fréquentable ? Sauf si on est un arthropode scorpiones heterometrus spinifer ejusdem farinae (en clair un zigoto du même acabit) parce que finalement, il est bon de savoir que ça existe, et que globalement, dans l'humanité ce n'est peut-être pas la majorité du genre. Il y a aussi les colibris...qui volent assez haut pour ne pas être dérangés par les scorpions. Comprend qui veut, comprend qui peut.

 

 et pour quelques notes de plus, Yves Montand, le premier à mettre en scène ce texte de Nazim Hikmet