04/07/2015
Lettre à la guitare perdue, et la demoiselle triste...
La guitare n’est pas un instrument de musique
comme la harpe à queue,
le piano domestique
ou le lamentorium ou la fraise du dentiste.
La guitare simplement appelle la musique quand la musique appelle la guitare.
Crolla n’est pas un instrumentiste, il a besoin de la musique et l’appelle avec sa guitare,
il l’appelle si ingénument, si simplement, si tendrement, qu’elle vient.
Et elle fait la belle, la tendre, l’insolite, la sauvage, la lointaine, la désarmante, la déchirante.
Crolla l’aide à faire ce qu’elle veut.
Jacques Prévert
Lettre à la guitare perdue, et la demoiselle triste
Une demoiselle avait une guitare qu'elle chérissait tout spécialement, c'était sa compagne, sa complice, son fétiche, celle qui avait donné les jolies notes, les notes justes pour les jolis mots de la demoiselle qui faisait des chansons. Des chansons partagées avec des amis, de toujours ou de rencontre qui ont vécu, avec elles, la demoiselle et sa guitare, des émotions, des rires, toutes ces choses qui naissent des chansons.
Les violons, les guitares, ont un charme particulier, un sortilège, qui crée des liens, peut-être grâce aux bois qui continuent à vivre une vie d'arbre qui avait commencé les pieds dans la terre et la tête dans le ciel.
Et cette vie se prolonge en notes de musique, en accords et échos qui gardent l'écho des vents oiseleurs, des oiseaux de passage faisant chanter les feuilles.
Il y a un peu de tout ça dans une guitare ou un violon, un chant venu du fond des âges... Imaginez un peu, le Viotti, violon créé par Stradivarius en 1709 , dont l'épicéa qui le compose avait sans doute quelques dizaines d'années, des racines plantées dans une terre millénaire, et dans le chant du Viotti*, c'est le chant d'un monde oublié qui se prolonge... Qu'y avait-il dans les bois qui faisaient vibrer la guitare de la demoiselle ? Un chant des Mille et une nuits ? Puisque la guitare est née arabe et nomade, c'est bien possible.
La demoiselle avait perdu sa guitare, elle avait disparu, comme ça, après un soir de concert, sans bruit, sans tapage, sans savoir comment, elle n'était plus là. Et comme dans la chanson de Félix**, partie sans voir le grand trou qu'elle laissait dans le cœur de la demoiselle.
Mademoiselle, ne pleurez pas, pas trop... peut-être que cette guitare vous avait tout donné, le meilleur d'elle-même, elle ne pouvait pas aller plus haut, peut-être a-t-elle voulu vous faire comprendre que vous deviez poursuivre votre chemin avec une autre, comme l'enfant quitte la main de sa mère pour une autre main. Mais ça, c'était trop difficile à dire tout de go, alors, elle s'est éclipsée discrètement, en douce.
Peut-être qu'aujourd'hui elle apprend à un jeune musicien un certain art du bonheur musical. Peut-être... Comme disait Prévert à Vian, une guitare n'est pas un moulin à légumes ni une tourniquette à vinaigrette.
La guitare de Woody était une machine de guerre contre les fascistes, celle de Crolla*** une amoureuse de la vie…
Tiens en parlant de Crolla, il avait offert à JacquesHigelin, pour ses 20 ans, une guitare, une Antoine Di Mauro, guitare qui a un jour disparu, volée dans une rue de Paris... Et quelques années plus tard, dans un village de Provence, Jacques voit près d'une décharge publique, SA guitare, sa Di Mauro, reconnue sans doute possible grâce à un détail très particulier.
Quel angelot ami s'était donné la mission de rendre à Jacques, la guitare que Crolla lui avait offert ? On sait pas, on constate. Ce qu'elle a fait entre temps, on sait pas non plus. Ce qu'on sait, c'est qu'entre temps, Higelin était devenu un grand de la chanson. Et quand il a fait le Casino de Paris vers 1990, il a demandé à un luthier une réplique de cette guitare aux couleurs du spectacle, rouge et bleu... C'est une belle histoire, non ? Et en plus elle est vraie.
Pour finir sur les aléas de la vie d'artiste, voici comment le hasard est parfois heureux. Enrico Crolla, 12 ou 13 ans est un surdoué du banjo-mandoline, il fait les terrasses des cafés chics de Paris et gagne bien sa vie. C'est là qu'il est adopté par la bande à Prévert. Vers 1935, il a 15 ans, on lui vole son banjo, et Paul Grimaud chez qui il a une chambre, le convertit à la guitare. En 1938, il sera un des espoirs du jazz dans les clubs où il rencontre Bill Coleman et quelques ténors du jazz venus à Paris. Il a sans doute été triste de perdre son vieux banjo d'enfance, mais l'histoire d'amour avec sa guitare Selmer Maccaferri l'a bien consolé. Et cette histoire d'amour n'a jamais cessé. Demoiselle triste, votre chérie guitare aura toujours une place privilégiée dans votre cœur, même si une autre prend la suite...
On n'est jamais à l'abri d'une bonne nouvelle...
Norbert Gabriel
*Le Viotti est un des violons mythiques d'Antonio Stradivarius, un de ceux qui ont traversé les siècles et jouent avec les meilleurs violonistes du monde. Les meilleurs violons de Stradivarius ont été élaborés quand il avait plus de 70 ans.
**Le p'tit bonheur « J’eus beau le supplier, le cajoler, lui faire des scènes,
Lui montrer le grand trou qu’il me faisait au fond du cœur.. »
*** Henri Crolla, le prince des accompagnateurs selon Philippe Meyer. Voir ici pour quelques infos :https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Crolla
NB Cette histoire étant malencontreusement réelle voici la disparue, si vous croisez quelque part quelqu'un qui vend une Tanglewood Sundance tw47B en étant un peu flou dans ses explications, sonnez le tocsin. Je ferai suivre, ou bien allez sur ce lien :http://carnetsdivresse.blogspot.fr/2015/07/ma-guitare-dis...
Dernière heure, 6 Août 2015, message de la demoiselle : "J'AI UNE NOUVELLE GUITARE ET ELLE EST MERVEILLEUSE !!!" Nous attendons la suite, son prénom, son anatomie, sa chanson..
Et tout est dans les carnets: http://carnetsdivresse.blogspot.fr/2015/08/jai-une-nouvelle-guitare-et-elle-est.html
14:56 | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
Voilà comment l'espoir peut renaître d'une histoire triste, la demoiselle aimait sa guitare plus que tout, mais ce que cette guitare lui a donné reste acquis, et elle pourra transmettre tout ça à une autre guitare à qui elle donnera vie, ou découvrir d'autres instruments, et peut être retrouvera-t-elle un jour cette guitare qui aura des choses à raconter . Bien plus triste est l'histoire d'une guitare ou d'un violon abandonnés, délaissés dans un placard ou dans un coin de chambre, et qui se meurent de ne plus vibrer sous les doigts d'un musicien .
Et déjà, l'histoire de la guitare disparue a inspiré de biens jolis dessins et textes dans les carnets d'ivresse de la demoiselle . Et cet article qui nous rappelle qu'on est jamais à l'abri d'une bonne nouvelle ...
Écrit par : Danièle Sala | 04/07/2015
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